Un article écrit par Valérie Boisclair

Une crise mondiale de l’eau se profile à l’horizon, avertit l’UNESCO

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En raison de la pollution des ressources d'eau douce et des effets du stress hydrique ressentis au niveau local, les pénuries d'eau « tendent à se généraliser », écrit l'UNESCO.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
En raison de la pollution des ressources d'eau douce et des effets du stress hydrique ressentis au niveau local, les pénuries d'eau « tendent à se généraliser », écrit l'UNESCO.

La demande en eau des villes pourrait augmenter de 80 % d’ici 2050, au moment où des milliards de personnes sur le globe sont déjà aux prises avec des pénuries d'eau.

Faute d'une coopération suffisante entre les États, les pénuries d'eau seront de plus en plus importantes au cours des prochaines décennies, en particulier dans les villes, selon un nouveau rapport de l'UNESCO.

Dans le rapport mondial sur la mise en valeur des ressources en eau 2023, dévoilé mercredi à l'occasion de la Conférence des Nations unies sur l'eau à New York, l'UNESCO et l'agence ONU-Eau indiquent que l'utilisation des ressources en eau sur le globe a augmenté de près de 1 % par an au cours des 40 dernières années.

Cette tendance devrait se poursuivre à une cadence similaire jusqu'en 2050 en raison de la croissance démographique, du développement socioéconomique et des modes de consommation.

Sur la même période, la demande en eau des villes devrait quant à elle augmenter de 80 %, explique Richard Connor, spécialiste des ressources en eau au Programme mondial d'évaluation des ressources en eau de l'UNESCO et auteur du rapport.

La population urbaine confrontée au manque d'eau devrait ainsi doubler d'ici 2050, pour atteindre entre 1,7 et 2,4 milliards de personnes, contre 930 millions en 2016.

Selon le rapport, près de 10 % de la population mondiale vit dans des pays où le stress hydrique – lorsque la demande en eau est supérieure aux ressources disponibles – est jugé élevé ou critique.

Jusqu’à 3,5 milliards de personnes vivent dans des conditions de stress hydrique pendant au moins un mois par an, note Richard Connor.

Compte tenu des effets du stress hydrique au niveau local ainsi que de l’aggravation et de la propagation de la pollution des ressources en eau douce, les pénuries d’eau tendent à se généraliser.

Extrait du Rapport mondial des Nations unies sur la mise en valeur des ressources en eau 2023

Les changements climatiques, qui provoquent une accélération de la fréquence des événements météorologiques extrêmes, vont en outre venir multiplier les pénuries d'eau saisonnières dans des régions où l'eau est généralement abondante – en Afrique centrale, en Asie de l'Est et dans certaines régions d'Amérique du Sud – et aggraver ces épisodes dans les régions où la ressource se fait déjà rare, comme au Moyen-Orient et dans le Sahel.

Les zones rurales écopent

Pour répondre à la demande en eau douce des villes, les gouvernements ont pris l'habitude d'approvisionner les centres urbains à partir des ressources disponibles en zones rurales. Autrement dit, l'eau destinée aux usages agricoles est réaffectée pour satisfaire les besoins des villes en expansion.

Ce faisant, les zones rurales en subissent les contrecoups : l'eau qui doit d'ordinaire servir à l'irrigation des cultures s'en trouve diminuée, ce qui entraîne une baisse de la production et des revenus des agriculteurs. Cette stratégie représente aussi un risque pour la sécurité alimentaire, note-t-on dans le rapport.

Paradoxalement, cette eau redirigée vers les villes est pourtant nécessaire aux cultures qui alimentent ces mêmes villes, observe Richard Connor.

Afin de mieux équilibrer le partage des ressources, la coopération entre les villes et les communautés agricoles qui les entourent sera absolument essentielle, ajoute-t-il. En finançant mieux les activités des agriculteurs, les villes leur permettront d'améliorer leurs systèmes, et l'eau excédentaire pourra alors être réorientée vers les villes, suggère-t-il.

80 % des eaux usées rejetées sans traitement

En date de 2020, 26 % de la population mondiale, soit 2 milliards de personnes, n'avaient toujours pas accès à des services d'approvisionnement en eau potable gérés de façon sécuritaire. Près de 3,6 milliards de personnes, soit 46 % de la population de la planète, n'avaient pas accès à des services d'assainissement de l'eau gérés de façon sûre.

Selon Richard Connor, une urgence humanitaire est à prévoir en raison des lacunes observées au niveau des systèmes d'assainissement. Le problème est d'abord et avant tout financier, explique-t-il.

Les coûts reliés à l'assainissement sont en moyenne cinq fois plus élevés que ceux reliés à l'accès l'eau potable.

Richard Connor, spécialiste des ressources en eau au Programme mondial d'évaluation des ressources en eau de l'UNESCO

Des pays qui ont dépensé d'importantes sommes pour acheminer et maximiser la distribution de l'eau potable se sont ensuite heurtés à un mur, illustre l'auteur du rapport. Ils manquaient d'argent pour l'assainissement, et en fin de compte, les eaux usées ont été rejetées dans l'environnement.

L'UNESCO estime que 80 % des eaux usées sont ainsi rejetées sans même avoir été traitées, ce qui entraîne à la fois des impacts sur la santé des communautés, mais aussi sur l'environnement qui les entoure. Dans les pays à faible revenu, la principale cause de la mauvaise qualité de l'eau résulte d'un traitement insuffisant des eaux.

Le manque d'assainissement fait que les gens tombent malades, exposés à cette eau contaminée par des excréments humains et des bactéries, et ne peuvent plus aller à l'école ni travailler, déplore M. Connor. Ça contribue au cercle vicieux de la pauvreté.

Dans son rapport, l'UNESCO insiste sur le fait que tous les pays du monde courent des risques liés à la qualité de l'eau. Pour les pays industrialisés, le plus grave problème est celui du ruissellement des eaux agricoles, qui provoque une contamination des eaux par des engrais, des pesticides et des herbicides.

Des eaux transfrontalières toujours sans protection

Bien que les eaux frontalières représentent 60 % des flux d'eau douce dans le monde, la plupart des pays n'ont pas d'accords opérationnels pour les couvrir, selon ONU-Eau.

À ce jour, seuls 6 des 498 aquifères qui traversent des frontières internationales sont régis par des ententes de coopération entre États. Sur ce front, la progression est lente depuis 2016 et demeure insuffisante, souligne Richard Connor.

Parmi les 17 objectifs de développement durable (ODD) fixés par l'ONU, celui sur l'accès à des services d’alimentation en eau et d’assainissement stipule que les États doivent mettre en œuvre une gestion intégrée des ressources en eau à tous les niveaux, y compris au moyen de la coopération transfrontière d'ici 2030.

Pour l'heure, toutes les cibles sur l'eau des ODD ne sont pas en voie d'être réalisées, selon le rapport de l'UNESCO. Dans certains domaines, le rythme de mise en œuvre doit être multiplié par quatre, voire plus, évalue-t-on.

La coopération est essentielle pour assurer la sûreté de l’eau au niveau des nombreux bassins et aquifères transfrontaliers.

Extrait du Rapport mondial des Nations unies sur la mise en valeur des ressources en eau 2023

M. Connor convient toutefois que la question des eaux frontalières est complexe. Certains cours d'eau peuvent parfois être protégés en vertu d'ententes qui ne concernent pas strictement la protection des eaux, comme le partage d'énergie découlant d'une centrale hydroélectrique installée sur une rivière transfrontalière.

Tout le dossier des eaux souterraines pose aussi problème, en raison du manque de connaissances et de données recueillies.

Derrière l'impression d'abondance, des disparités

Au Canada, environ 80 % de la superficie des bassins transfrontières font l'objet d'une entente, selon les données d'ONU-Eau. Depuis 1909, la Commission mixte internationale (CMI) permet la coopération dans le domaine de l'eau entre le Canada et les États-Unis.

Le pays fait aussi face aux enjeux reliés à la contamination par les eaux de ruissellement agricoles. Il n'y a qu'à penser à la tragédie de Walkerton, souligne Kathryn Furlong, professeure titulaire au Département de géographie de l'Université de Montréal. Il y a un peu plus de 20 ans, la ville ontarienne de Walkerton avait connu le pire épisode de contamination de l'eau par la bactérie E. coli. jamais vu au Canada.

Or, une autre source importante de contamination de l'eau est issue de l'industrie des combustibles fossiles, indique la spécialiste.

Le Canada demeure un pays extractiviste, et donc toute cette extraction, comme celle des sables bitumineux, entraîne énormément de contamination.

Kathryn Furlong, professeure titulaire au Département de géographie de l'Université de Montréal

Le Canada a beau posséder près de 20 % des réserves d'eau douce au monde, le pays est aussi vaste que diversifié, insiste Mme Furlong. Plus de la moitié de ces eaux s'écoulent vers le nord du pays, alors que la majorité de la population habite le sud, le long de la frontière avec les États-Unis.

Cette impression d'abondance des ressources en eau ne doit pas non plus faire oublier les importantes disparités d'accès à l'eau potable qui persistent au pays, selon la professeure.

Si le gouvernement Trudeau s'est engagé à lever tous les avis concernant la qualité de l'eau dans les communautés autochtones, près d'une trentaine de Premières Nations sont toujours dans l'incapacité de consommer l'eau.

Depuis novembre 2015, 138 avis à long terme ont été levés, selon les plus récentes données du gouvernement fédéral.

Ces communautés sont aux prises avec des problèmes d'accès à l'eau potable en 2023 en raison du manque d'infrastructures et d'investissements, explique Mme Furlong, qui s’intéresse aux enjeux de la gestion et de la gouvernance de l’eau.

D'autres petites municipalités rurales sont dans la même situation, rappelle-t-elle. Nous avons, au Canada, des cas où la population est sous avis d'ébullition de l'eau pendant des décennies.

La professeure appelle en outre les Canadiens à prendre conscience de l'impact de leur consommation sur les ressources en eau ailleurs dans le monde. Elle cite en exemple les énormes quantités d'eau que nécessite l'extraction des minéraux contenus dans nos téléphones intelligents.

À nous de nous conscientiser sur notre propre relation avec les produits qu'on utilise, sur notre propre consommation, résume-t-elle.