Un article écrit par Delphine Jung

À Pessamit, le souvenir des feux noirs de 1991 renaît

Justice et faits divers > Feux de forêt

Les feux de forêt au nord de Sept-Îles ont obligé des habitants de Mani-utenam à fuir à Pessamit.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
Les feux de forêt au nord de Sept-Îles ont obligé des habitants de Mani-utenam à fuir à Pessamit.

En 1991, les habitants de Pessamit étaient évacués vers Uashat et Essipit. Trente-deux ans plus tard, c’est à leur tour de venir en aide à leurs frères et sœurs. L’occasion pour eux de se remémorer les heures sombres des feux qui avaient à l’époque détruit 2000 km2 et plongé la ville dans le noir.

« C’est à ça que ressemble la couleur de l’enfer? » Aline Rock se souvient très bien s’être posé cette question à l’été 1991, quand les flammes ravageaient la forêt environnante de Pessamit. Elle n’est pas la seule. Plusieurs autres Innus racontent la même histoire au sujet du ciel sombre qui s’est rapidement abattu au-dessus de leurs têtes.

J’avais acheté un beau gilet Vuarnet blanc. Puis des cendres ont commencé à tomber, il était couvert de taches noires, se souvient Rita Bacon, qui avait 28 ans à l’époque.

Il faisait chaud, le ciel était noir, on aurait dit qu’il faisait nuit en plein après-midi, c’était une pluie de cendres, j’avais jamais vu un après-midi aussi orange… puis les lampadaires se sont allumés, pensant qu’il faisait nuit…

Les souvenirs sont encore frais dans la tête de ces Pessamiulnuat qui, aujourd’hui, sont fiers de pouvoir rendre la pareille à leurs amis, cousins, frères, sœurs de Mani-utenam.

Adèle Bacon-Washish devait se rendre à un mariage à Sept-Îles. C’est là-bas que les membre de sa famille ont appris l’ordre d’évacuation de leur communauté, située 300 kilomètres plus à l’ouest, sur la Côte-Nord.

Rendus à Baie-Trinité, la Sûreté du Québec nous a arrêtés, nous disant qu’on ne pouvait plus passer. On devait chercher nos enfants! Alors on a pu retourner à Pessamit, raconte-t-elle.

Sur place, des autobus attendaient que les évacués embarquent. Direction Uashat mak Mani-utenam à l'est et Essipit à l’ouest.

Adèle et Rita sont restées sur place pour prêter main-forte au personnel de soutien : la garde côtière, les pompiers, les gens du conseil de bande… Finalement, une poignée de personnes sont restées à Pessamit, dont deux enfants seulement.

On s’occupait des chiens que les évacués n’avaient pas pu emmener, on avait réquisitionné la nourriture du magasin Northern de l’époque, racontent les deux sœurs.

Dans le ciel, des hélicoptères survolaient la communauté. On aurait dit que c’était la guerre!, se rappelle Rita.

Bibiane Bacon, la sœur d’Adèle et Rita, les a trouvées chanceuses de pouvoir rester chez elles. Moi, je ne voulais pas partir. Je suis née à Pessamit, chez ma grand-mère, dit-elle.

Elle et ses deux filles, dont un nouveau-né d’un an, ont dû s’installer à l’hôtel, car personne ne pouvait les héberger aux Escoumins. C’était pas les vacances dont j’avais rêvé!, lance-t-elle en riant doucement.

Sandra Rock, âgée de 28 ans à l’époque, ne voulait pas partir non plus. Beaucoup de gens nous ont fait peur. Ils nous disaient que la police allait venir nous chercher de force dans nos maisons. Alors on est partis à Uashat, dit-elle.

On n’est pas bien ailleurs… c’est toujours un peu l’inconnu.

Sandra Rock

À Uashat, elle a pu rester avec sa famille chez une certaine Léonie Fontaine. Elle leur avait alors prêté une roulotte, juste à côté de sa maison. C’était rassurant d’être chez quelqu’un. On est restés huit jours. Mais on était contents de rentrer à la maison, ajoute-t-elle.

Aujourd’hui, Léonie Fontaine est décédée, mais plusieurs années durant, elle a continué à garder contact avec la famille Rock et se rendait de temps en temps à Pessamit.

Des liens se sont créés cette année-là. Comme le rappelle Kim Picard. À l’époque, ses parents étaient accueillis chez des inconnus, Françoise et André Fontaine. Les deux familles sont devenues amies. Tellement que les Fontaine sont désormais hébergés par les Picard, à Pessamit. Encore un retour d’ascenseur que les Innus trouvent bien naturel.

J’admire l’entraide qui existe à l’intérieur de nos nations. C’est une valeur qu’on a héritée de nos ancêtres et qui se perpétue encore de nos jours.

Kim Picard

Aline Rock, elle, était étudiante infirmière et effectuait son stage au centre de santé de Pessamit. Elle a aidé à la mise en place du plan d’évacuation. Sa famille a été divisée : ses parents et sa fille ont été relogés à Uashat. Son conjoint était parti combattre le feu et elle, elle s’est rendue à Essipit.

Finalement, elle a pu rejoindre sa fille de six ans à Uashat. On a roulé sur la 138 qui était déserte. Je ne me rappelle pas avoir eu peur, même si on était entourés de boucane, raconte-t-elle, alors que son conjoint se prépare à faire une petite prière dans la salle communautaire.

Paul-André Vollant-Fontaine avait six ans quand le feu a éclaté. Lui aussi garde des souvenirs parfois précis de cette période. Je savais qu’il y avait un incendie, on voyait la fumée, mais ça ne m’inquiétait pas, dit-il.

En voyage avec son père à Québec, il se souvient des images qui défilent dans le poste de télévision, annonçant l’évacuation imminente de sa communauté. On voulait rejoindre ma mère, même si mes parents étaient séparés et que mon père avait une nouvelle conjointe, explique-t-il encore.

Mais c’est aux Escoumins que le jeune Paul-André a atterri. J’ai dû rester avec ma belle-mère durant deux semaines. Une chance qu’on s’entendait bien, mais je me suis beaucoup ennuyé de mes parents, raconte-t-il.

Son père était en effet parti aider les combattants du feu, sa mère était restée à Pessamit.

Je cherchais ma grand-mère, ma tante. Je me sentais seul et abandonné.

Paul-André Vollant-Fontaine

Il se souvient de ces militaires qui lui ont fait goûter pour la première fois de la nourriture de camping.

À son retour, Bibiane s’est emparée d’un long tuyau d’arrosage et a commencé à nettoyer les murs extérieurs de sa maison couverts de cendres. Tout était à nettoyer dans la communauté.

Dans le hall du centre communautaire, Aline Rock se sent, comme tous les autres, redevable envers les Innus de Mani-utenam. Je comprends ce qu’ils vivent. Et j’essaye de les accommoder du mieux que je peux en respectant les émotions de chacun, dit-elle.