Un article écrit par Radio-Canada

La destruction du barrage de Kakhovka force l’évacuation de milliers d’Ukrainiens

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Le barrage hydroélectrique de Kakhovka a été submergé par les flots après s'être rompu sous la force de puissantes explosions.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
Le barrage hydroélectrique de Kakhovka a été submergé par les flots après s'être rompu sous la force de puissantes explosions.

La destruction partielle du barrage de Kakhovka lors de bombardements dans le sud de l'Ukraine a entraîné l'inondation, mardi, d'une vingtaine de localités, forçant l’évacuation d’au moins 17 000 civils dans les zones sous contrôle ukrainien.

Le barrage qui abrite une centrale hydroélectrique sur le fleuve Dniepr, dans le sud du pays, avait été pris par les forces russes dès les premiers jours de l’invasion de l’Ukraine.

Endommagée par une puissante explosion dont s’accusent mutuellement les Russes et les Ukrainiens, l’installation a cédé mardi matin, laissant passer de grandes quantités d’eau qui ont inondé au moins 24 localités situées en aval, selon le ministère ukrainien de l’Intérieur.

Plus de 40 000 personnes risquent d'être en zones inondées. Les autorités ukrainiennes évacuent plus de 17 000 personnes. Malheureusement, plus de 25 000 civils se trouvent sur le territoire sous contrôle russe, a indiqué sur Twitter le procureur général ukrainien Andriï Kostine. Les forces d'occupation russes ont pour leur part indiqué avoir aussi commencé à évacuer 900 habitants dans au moins trois localités.

La situation la plus difficile a lieu dans le district de Korabelny de la ville de Kherson. Jusqu'à présent, le niveau de l'eau s'est élevé de 3,5 mètres, plus de 1000 maisons sont inondées, dans cette cité reprise aux Russes par les Ukrainiens en novembre 2022, a déclaré dans un communiqué le chef de cabinet adjoint de la présidence ukrainienne, Oleksiï Kouléba.

Selon l'opérateur ukrainien de la centrale, Ukrhydroenergo, le barrage a été complètement détruit.

À Kiev, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a accusé la Russie d'avoir fait exploser une bombe sur le barrage après l'avoir miné.

Il est physiquement impossible de le faire sauter d'une manière ou d'une autre de l'extérieur, avec des bombardements, a expliqué le président Zelensky, contredisant la version de Moscou qui accuse de son côté les Ukrainiens d’avoir détruit l’ouvrage en le bombardant.

Selon le Kremlin, il s’agit d’un acte de sabotage délibéré des Ukrainiens alors que les autorités locales russes évoquaient plutôt de multiples frappes ukrainiennes sur le barrage.

Nous appelons la communauté internationale à condamner les actions criminelles des autorités ukrainiennes, qui sont de plus en plus inhumaines et constituent une menace sérieuse pour la sécurité régionale et mondiale, a indiqué le ministère russe des Affaires étrangères dans un communiqué.

Moscou entend porter la question devant le Conseil de sécurité de l'ONU, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et d'autres organisations internationales, a-t-il ajouté.

Kiev croit au contraire que les Russes ont volontairement inondé la région située en aval de la centrale pour freiner la contre-offensive ukrainienne imminente dans le sud du pays visant à chasser les forces russes des zones occupées.

Mais Kiev assure que la destruction du barrage n'a pas changé ses plans de contre-offensive.

Pour Edmond Huet, consultant en défense à Brovary, en Ukraine, qui s’exprimait mardi matin sur les ondes d’ICI RDI, il ne fait aucun doute que les forces russes ont inondé la région pour ralentir la progression ukrainienne et protéger leurs positions au sud du Dniepr.

Les Russes avaient prévu de faire détonner le barrage au début de la nuit dernière. On fermait toutes les vannes pour qu’il y ait une pression d’eau maximum, à la limite de la destruction du barrage, et ils l’ont détonné dès que l’eau a commencé à passer par-dessus le barrage pour causer le maximum de dégâts.

Edmond Huet, consultant militaire

D’ici la nuit prochaine, il y aura probablement cinq mètres d’eau de plus au sud du côté de Kherson et vers le delta. […] Et depuis quelques heures, les forces d’occupation russes font détonner les digues anti-inondation de façon à ce qu’il y ait un maximum de dégâts sur le parcours du Dniepr, ajoute Edmond Huet.

Construit dans les années 1950 sous l’ère soviétique, le barrage de Kakhovka alimente en eau le sud du pays et la péninsule de Crimée, qui a été annexée militairement par la Russie en 2014.

Centrale nucléaire

La destruction du barrage de Kakhovka inquiète les experts de l'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA), car les eaux retenues par l’ouvrage alimentent également un réservoir d’eau qui assure le refroidissement de la centrale nucléaire de Zaporijia, situé 150 kilomètres en amont sur le fleuve Dniepr.

Selon l'exploitant ukrainien du barrage, Ukrgidroenergo, le réservoir de refroidissement devrait être opérationnel pendant les quatre prochains jours, mais son niveau décroît rapidement, menaçant le système de sécurité de la centrale.

Le directeur de la centrale, Iouri Tchernitchouk, installé par les occupants russes, estime pour sa part qu’il n'y a pas de menaces actuellement pour la sécurité de l'installation nucléaire.

À Genève, l'OCHA, agence humanitaire de l'ONU, a prévenu que la destruction du barrage pouvait provoquer un désastre environnemental et avoir un impact sévère sur des centaines de milliers de personnes des deux côtés de la ligne de front.

C'est une nouvelle conséquence dévastatrice de l'invasion russe de l'Ukraine, a estimé le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres.

Catastrophe écologique

Selon Kiev, la destruction du barrage Kakhovka a déversé plus de 150 tonnes d’huile à moteur dans les eaux du fleuve Dniepr. C’est la plus grande catastrophe environnementale causée par l'homme en Europe depuis des décennies, s’est indigné Volodymyr Zelensky. La Russie est coupable d'un écocide brutal.

À Washington, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale, John Kirby, a déclaré ne pas avoir de conclusion définitive sur ce qui s'est passé tout en estimant que la rupture du barrage a certainement fait de nombreux morts.

Nous essayons toujours de comprendre ce qui s'est passé, mais les Russes avaient illégalement pris le contrôle de ce barrage et de ce réservoir il y a plusieurs mois et ils l'occupaient quand l'explosion s'est produite, a-t-il dit.

Il est très clair que la destruction délibérée d'infrastructures civiles n'est pas autorisée par le droit de la guerre, a ajouté John Kirby.

C’est un impact sérieux sur les gens, sur leur vie. Mais aussi, c’est un autre exemple des conséquences horribles de l’attaque illégale de la Russie sur l’Ukraine.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

La Russie devra rendre des comptes pour ce crime de guerre, a déclaré le chef du Conseil européen, Charles Michel, tandis que le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, a dénoncé un acte scandaleux.

Pour le chancelier allemand, Olaf Scholz, cela donne une nouvelle dimension à la guerre livrée par Moscou, tandis que le Royaume-Uni a parlé de crime de guerre.

Note

Une vidéo dont la présentation était inexacte a été retirée de cet article. Les images qu'elle contenait n'étaient pas celles de la destruction partielle du barrage survenue mardi en Ukraine, mais dataient plutôt de novembre 2022.