Un article écrit par Benoît Livernoche

Agriculture et énergie : alliées ou ennemies?

Environnement > Énergies renouvelables

Les terres arables sont précieuses et plusieurs voient d'un mauvais œil la possibilité d'un changement de vocation au profit de la production d'énergie, si verte soit-elle.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
Les terres arables sont précieuses et plusieurs voient d'un mauvais œil la possibilité d'un changement de vocation au profit de la production d'énergie, si verte soit-elle.

Comme le Canada souhaite mettre les bouchées doubles en vue d'atteindre la carboneutralité, de nombreux projets d'énergies dites vertes voient le jour, dont une bonne partie en territoire agricole. Et plusieurs de ces projets enflamment les communautés. Des exemples au Québec, en Ontario et en Alberta.

À contre-vent au Québec

À Sainte-Élizabeth-de-Warwick, Jean Morin n’en démord pas : les éoliennes n'ont pas leur place dans le paysage de sa région. Nous rencontrons ce fromager bien connu de ce village du Centre-du-Québec un matin de juin, alors qu'il se bat depuis plus d'an contre un projet éolien.

Sur sa terre, il pointe avec frustration les endroits où pourraient apparaître des éoliennes. On nous propose deux ou trois éoliennes là-bas. Et à gauche, à droite, il y en aura partout dans le voisinage. Donc, ce qu'on vient faire, c'est bousiller ce paysage-là, affirme le maître fromager, qui ne se gêne pas pour jouer de la métaphore. Le contexte des grands fromages, c'est une question d'harmonie. C'est notre paysage, c'est notre saveur, c'est nos sols, c'est nos terres. Et on ne peut pas imaginer une seconde qu'on puisse briser cette harmonie-là.

Si les impacts visuels et sonores des turbines constituent les principales inquiétudes des opposants aux projets éoliens, il y a aussi la protection du territoire agricole qui inquiète.

Nous, on veut garder nos terres agricoles à des fins agricoles, poursuit M. Morin. Ce n'est pas un parc éolien ici, ce n'est pas un parc industriel. Ce sont des terres nourricières.

Le paysage agricole, c'est très précieux pour nous. Il fait partie de nos vies, il fait partie de nous. À partir du moment où on installe un parc éolien, on perd tout le cachet et la beauté de ce territoire-là.

Jean Morin, agriculteur et fromager, Sainte-Élizabeth-de-Warwick

Moi, je fais partie de ceux qui voient plein d'avantages à ce projet-là. On le voit un peu comme un levier pour notre région, dit d'emblée l'agriculteur Olivier Lavertu.

Ce producteur laitier n'habite pas très loin de chez Jean Morin. Il a été approché pour installer des éoliennes sur ses terres. Il est d'accord avec le projet, pour autant qu'il y ait des retombées régionales.

Si on va mettre ces éoliennes sur un tas de roche, où personne n'habite, ça ne ramène rien à ma MRC, prévient-il. Il faut le voir comme un apport local.

Quand je vais dans le Midwest américain – en Illinois, en Ohio –, il y a des grands parcs éoliens en territoire agricole. Je trouve tellement que ça semble être une agriculture prospère, dynamique! Mais ça, les goûts, ça ne se discute pas. Quelqu'un va trouver ça très laid. Moi, à mon avis, ça a l'air très prospère.

Olivier Lavertu, producteur laitier, Warwick

L'argent est justement le nerf de la guerre. Dans le Centre-du-Québec, comme partout ailleurs, le débat entourant le développement de l'énergie éolienne est le même : les résidents se divisent et les représentants municipaux défendent les projets, car ils apportent des redevances.

Comme élu, on est constamment en train de faire des revendications auprès des gouvernements provinciaux et fédéraux pour avoir davantage de sources de revenus, souligne Antoine Tardif, maire de Victoriaville. Il est le porte-parole de sa région pour le développement éolien.

Une opportunité comme celle-là, c'est exactement ce qu'on demande depuis toujours. C'est une façon de diversifier nos revenus et de contribuer au développement économique de notre région, poursuit M. Tardif.

Selon le dernier plan d'Hydro-Québec, pour que la province atteigne la carboneutralité en 2050, il faudra augmenter la production de 150 à 200 térawattheures. Cela représente près du double de la production annuelle actuelle de la société d'État.

Pour y parvenir, elle compte notamment tripler la production d'énergie éolienne de la province d'ici 2035.

Mais où installer les éoliennes?

Dans ses derniers appels d'offres, Hydro-Québec avait une requête bien spécifique à adresser aux promoteurs éoliens : se brancher à même les lignes de transport existantes.

Cette notion-là est purement économique de la part de l'État. Il n'y a aucune notion de conséquence de cohabitation que ça amène. Il n'y a aucune notion de conséquences sur les terres agricoles, déplore Daniel Abel, président de l'Union des producteurs agricoles du Centre-du-Québec. Il est contre la réalisation de tels projets sur des terres agricoles.

Au Québec, moins de 5 % du territoire est considéré comme agroforestier et moins de 2 % est considéré comme du « territoire agricole dynamique » – en culture –, majoritairement dans le sud de la province. Or, dans le Centre-du-Québec, les projets éoliens présentement sur la table ont tous des visées sur le territoire agricole dynamique.

C'est une perte de superficie. Ce sont des contraintes qui s'ajoutent pour le secteur agricole, s’insurge Daniel Abel, qui se demande si on ne pourrait pas positionner ces parcs ailleurs.

On est très favorable à ce qu’il se développe de l'énergie verte pour le Québec. Malheureusement, pas sur les terres agricoles ni en zone habitée, tranche Jean Morin.

Depuis nos rencontres en juin dernier, certains référendums ont eu lieu dans plusieurs municipalités du Centre-du-Québec, dont Sainte-Élizabeth-de-Warwick, où les projets éoliens ont été rejetés par la population, au grand plaisir de Jean Morin qui a mené la bataille. Mais le débat n'est pas pour autant terminé. Les promoteurs n'abandonnent pas et les municipalités pourraient décider d'outrepasser les résultats référendaires.


Des terres convoitées en Ontario

S'ils veulent voir les éoliennes dans une communauté, d'une façon ou d'une autre, je pense qu'ils vont les développer, estime Maurice Chauvin, rencontré sur sa ferme de Pointe-aux-Roches, dans le sud de l'Ontario.

Cet agriculteur a accepté l'installation de deux éoliennes sur ses terres, il y a plus de 10 ans. Ça n'a pas été si facile que ça, il y a eu beaucoup de négociations qui ont eu lieu pendant plusieurs mois, raconte-t-il.

Le sud de l'Ontario compte parmi les plus grands parcs éoliens au pays. Il y a entre le lac Huron et le lac Érié des centaines d'éoliennes, car ce corridor possède un bon potentiel de vent.

Comme partout, l'implantation de ces éoliennes s'est faite au terme de négociations directes avec les propriétaires terriens impliqués. Tous les agriculteurs se sont rencontrés et puis on a engagé un avocat pour négocier pour nous autres, indique M. Chauvin. Comme les autres signataires, il est lié par contrat pour plus de 20 ans avec le promoteur.

S'il ne voyait aucun problème à l'implantation des éoliennes, Maurice Chauvin voit le développement s'accélérer sur le territoire agricole, aujourd'hui, et cela commence à l'inquiéter. Du moment qu'on a ouvert les portes aux éoliennes, on ne voyait pas les liens avec le développement futur, s'il n'y avait pas d’éoliennes ici.

La pression en faveur du développement est très forte en Ontario. Comme partout au pays, l'énergie renouvelable est considérée comme une solution pour répondre à la demande sans cesse croissante.

Si les éoliennes sont déjà bien implantées dans le paysage, des sites de stockage d'électricité par batterie verront bientôt le jour sur des terres agricoles. Ces sites permettent d'emmagasiner de l'électricité et de libérer de l'électricité dans des moments de grandes utilisations.

Où est-ce que ça va arrêter? Aujourd'hui, c'est des champs de batteries. La prochaine chose c'est quoi? se demande Maurice Chauvin.

Dire que le paysage change rapidement est un euphémisme, affirme l'agriculteur Ian Ruston, aussi conseiller municipal à Lakeshore. Il y a les éoliennes, de futurs sites de stockage d'énergie, des stations de transformations partout, sans oublier les serres.

L'agriculteur nous conduit le long de la route 77, qui mène à Leamington. Il veut nous montrer comment le paysage agricole de sa région a changé.

Beaucoup de gens appellent cette route "l'allée des serres". Quand on roule, on voit les serres les unes après les autres. C'est devenu un véritable parc industriel, note M. Ruston.

Leamington renferme effectivement la plus grande concentration de serres en Amérique du Nord. C'est un marché très concurrentiel. Concombres, tomates et poivrons : une bonne partie de ce que nous consommons provient d'ici.

En serre, on peut produire 15 fois plus qu'en agriculture conventionnelle, en champ. C'est énorme, insiste Richard Lee, président de l'Ontario Greenhouse Vegetable Growers.

La majorité de ce qui est produit dans les serres de Leamington est exportée vers les États-Unis. Comme toutes les industries agricoles, celle des serres veut accroître sa productivité et augmenter ses exportations afin de demeurer concurrentielle.

Pour cela, il faut plus de terrain, plus de serres, et plus d'énergie.

Nous voulons augmenter notre production de 5 % par an pour les 10 prochaines années, mais ça prend de l'énergie et des infrastructures.

Richard Lee, président de l'Ontario Greenhouse Vegetable Growers

Mais ces serres ne produisent pas que des légumes. Il y a aussi la production commerciale de cannabis. Et à Lakeshore, on n'en veut pas.

La pression de l'industrie des serres est telle que la municipalité de Lakeshore a adopté il y a un an un règlement limitant leur développement.

Ces serres sont d'immenses usines de production. On y fait pousser des aliments, qu'on envoie ailleurs. On ne devrait pas sacrifier nos meilleures terres arables au profit de l'exportation, fait valoir Ian Ruston. On ne peut pas avoir plus de terres. Et si on construit sur celles qu'on a, on les perd pour toujours.

Le conseiller municipal convient qu’il faut accepter le changement, mais il faudra aussi décider du moment où assez c'est assez.

Sur sa terre, Maurice Chauvin regarde aujourd'hui les éoliennes en se questionnant un peu plus. Une communauté qui pense à embarquer dans un projet éolien doit réfléchir à l'avenir, aux futurs développements que ça peut amener, recommande-t-il.


Ruée vers l’or vert en Alberta

L’agriculture est la pierre angulaire de la municipalité de Willow Creek, dans le sud-ouest de l’Alberta. C’est d’ailleurs l’une des rares municipalités de la région qui n’ont pas connu le boom pétrolier.

La famille de Maryanne Sandberg élève des bovins sur une ferme familiale fondée au tournant du 20e siècle. Vétérinaire à la retraite, elle porte aujourd’hui un autre chapeau : elle est préfète de Willow Creek. Et depuis quelques années, un défi de taille se dresse à l’horizon.

Elle nous emmène dans le nord de sa municipalité, où elle visite, pour la première fois, une toute nouvelle centrale électrique. Une ferme de panneaux solaires qui s’étend sur 35 hectares.

Ce que déplore Mme Sandberg, c’est que les panneaux ont été plantés sur une très bonne terre agricole. Celle-ci produisait de la bonne luzerne pour nourrir le bétail, signale-t-elle. Ça me rend triste de penser qu’elle ne produira plus de nourriture d'aucune sorte.

La municipalité s’est opposée à ce projet. Mais c’est la commission provinciale sur les services publics qui a le dernier mot et le projet a reçu le feu vert.

Une décision qui laisse perplexes les élus municipaux comme Maryanne Sandberg. Le gouvernement provincial peut intervenir lorsqu'il juge que c'est pour le bien commun, dit-elle. J'aimerais bien savoir qui décide de ce qu'est le bien commun.

Depuis cinq ans, la production d’énergie renouvelable a monté en flèche dans le sud de l’Alberta.

C’est que la région est une mine d’or vert. Il fait soleil ici environ 320 jours par année, plus que partout ailleurs au pays. Et les vents de l’Ouest, qui déferlent des piémonts, sont puissants.

On y retrouve aujourd’hui une quarantaine de parcs éoliens, ainsi que 36 fermes solaires commerciales – toutes construites dans les six dernières années. Ces centrales produisent environ 8,5 gigawattheures d’électricité, assez pour alimenter 1,2 million de demeures.

Près de 20 % de l’électricité produite en Alberta aujourd’hui vient de sources renouvelables.

Dans la municipalité de Vulcan, le pétrole et le gaz naturel ont longtemps été les moteurs économiques.

Lorsque le prix du pétrole a chuté, bon nombre de pétrolières ont fait faillite. La municipalité a perdu 12 millions de dollars d’impôts et a dû couper 30 % de son budget.

Mais en 2013, le vent a tourné. L’ouverture du parc éolien Black Spring Ridge a marqué le début d’un nouveau chapitre pour Vulcan, selon son préfet, Jason Schneider.

Du jour au lendemain, ce projet a représenté 20 % de notre assiette fiscale, dit-il. Les entreprises ont réalisé que le sud de l’Alberta était très bien adapté aux projets de ce genre.

En quelques années, cinq autres projets éoliens et solaires ont vu le jour.

Parmi eux, la centrale de Travers, le plus grand parc solaire au pays. Un million et demi de panneaux qui s’étendent à perte de vue sur plus de 1300 hectares.

Au maximum de sa capacité, la centrale produit 465 mégawatts d’électricité, presque assez pour alimenter toutes les demeures de la ville de Laval.

Vulcan a fait un virage complet de l’énergie fossile à l’énergie renouvelable.

Ces projets ont certainement changé le paysage ici.

Jason Schneider, préfet de Vulcan County

Mais ce ne sont pas tous les projets qui sont les bienvenus dans la municipalité.

Un promoteur, par exemple, a reçu le feu vert pour construire un parc solaire de 700 hectares près du village de Kirkcaldy, sur de très bonnes terres agricoles.

La municipalité s’y est opposée, mais en vain. Une situation désolante, selon Jason Schneider. Il faut revoir comment ces décisions sont prises. Est-ce que les intérêts du public sont bien servis? Alors que ces projets deviennent de plus en plus gros, ils ont aussi de plus en plus d’impact.

Les élus municipaux ont une autre inquiétude. Qu’arrivera-t-il à tout cet équipement dans les champs, dans quelques décennies?

Jason Schneider rappelle que l’Alberta a déjà connu ce scénario avec les milliers de puits de pétrole orphelins. On sait que le plan de remise en état le moins cher pour ces entreprises, c’est déclarer faillite. J’ai peur qu’on assiste à ça, dans 20 ans, lorsque certains de ces projets ne seront plus viables financièrement.

C’est l’une des inquiétudes principales de Shawn Morton, qui élève du bétail à l’est de Red Deer.

Lorsque l’entreprise PACE Canada l’a approché pour construire un parc solaire sur son terrain, il a refusé. J'avais peur de perdre cette terre et de ne plus pouvoir l'exploiter. C’est aussi une question de patrimoine : la ferme m'a été léguée, et elle devrait garder sa vocation agricole.

Claude Mindorff, de PACE Canada, lui a donc proposé de jumeler production photovoltaïque et production agricole sur son terrain. Je lui ai dit : "Je n’ai aucun problème à ce que tu fasses paître tes animaux ici, mais il ne faudrait pas qu'ils pèsent 500 kilos! As-tu pensé à des moutons?"

L’élevage de moutons sous les panneaux de fermes solaires est d’ailleurs de plus en plus populaire au Canada, car le mariage se fait bien.

L'idée a séduit Shawn Morton : Je me disais que de cette façon, on utiliserait l'énergie du soleil pour produire à la fois de l'électricité et de l'herbe, qui sert à produire de la viande d'agneau.

L’entreprise lui a aussi garanti qu’elle verserait une partie de ses revenus dans un fonds réservé au futur nettoyage du site.

En août dernier, l’Alberta annonçait un moratoire de sept mois sur l’approbation de tout nouveau projet d’énergie renouvelable.

La province veut étudier l’impact de ces projets sur le territoire agricole, et revoir la réglementation qui encadre le secteur de l’énergie verte.

Une décision bien reçue par les élus municipaux comme Maryanne Sandberg, qui réclament un meilleur équilibre entre production énergétique et production agricole. On ne peut pas créer des terres. On a ce qu'on a, et si on les perd, on les perd. Et on ne les récupérera jamais.

Des reportages de Benoît Livernoche et Marc-Yvan Hébert sur l'agriculture et l'énergie seront présentés à l'émission La semaine verte, diffusée sur ICI Télé le samedi à 17 h et le dimanche à 12 h 30 ainsi que sur ICI RDI le dimanche à 20 h.


L’avenir de l’énergie renouvelable au Canada

Le nombre de centrales d’énergie renouvelable a triplé au Canada depuis 10 ans.

Que ce soit des parcs éoliens dans le sud de l’Ontario ou d’immenses fermes solaires dans les Prairies, ces projets suscitent souvent de la controverse.

Et pourtant, ils sont essentiels aux cibles de réduction de gaz à effet de serre adoptées par presque toutes les provinces.

Le géographe Jamie Baxter, de l’Université de Western Ontario, étudie le taux d’acceptabilité des éoliennes au sein de communautés en Europe, en Nouvelle-Écosse et en Ontario.

Il explique que les réactions à ces projets sont très différentes d’une province à l’autre. En Nouvelle-Écosse, le taux d’acceptabilité est autour de 70 %. En Ontario, ce chiffre tombe à 40 %. Cette différence s’explique, selon nous, surtout par la réglementation.

En Nouvelle-Écosse, tout projet éolien doit recevoir l’appui de la municipalité hôte avant d’être approuvé. Dans certains cas, les municipalités investissent elles-mêmes dans ces projets et reçoivent des ristournes.

En Ontario, c’est tout à fait autre chose. La loi controversée sur l’énergie verte, adoptée en 2009, permettait aux promoteurs de contourner complètement les élus municipaux.

Des dizaines de municipalités se sont opposées ouvertement aux projets éoliens pour décourager les promoteurs. Si bien que la question est devenue un enjeu politique majeur.

En 2018, le gouvernement de Doug Ford a révoqué la loi sur l’énergie verte et freiné le développement de nouveaux projets.

La comparaison entre les politiques adoptées en Nouvelle-Écosse et en Ontario est devenue un récit édifiant sur l’avenir de ces projets, d'après Jamie Baxter. Quand on consulte les communautés en amont, ça aide énormément, souligne l'expert. Ce n'est pas une panacée, mais au moins, les gens ont l’impression que le processus est équitable.

Le professeur à HEC Montréal Pierre-Olivier Pineau vient de publier un livre sur la transition énergétique au Canada.

Dans un monde idéal, les gens aimeraient de l'électricité pas chère avec des infrastructures qui sont cachées. Mais malheureusement, on ne peut pas tout avoir.

Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal

La discussion sur l’énergie renouvelable est mal cadrée, croit-il. Il faut réduire nos émissions de gaz à effet de serre. On présente souvent la substitution de l'énergie renouvelable à la place des énergies fossiles comme étant la solution. Je pense que la fuite en avant, avec l'ajout de capacités d'énergies renouvelables, n'est pas la bonne approche. Ça ne fait pas changer nos modes de vie, qui sont, en soi, beaucoup trop énergivores.

Ce besoin d’énergie est particulièrement criant en Alberta, où la consommation globale d’énergie, per capita, est le double de la moyenne nationale.

Pierre-Olivier Pineau fait d’ailleurs une mise en garde à ceux qui souhaitent protéger les terres agricoles à tout prix, surtout dans une province qui cherche à réduire sa consommation d’énergie fossile : Une grande partie de la production agricole va à l'alimentation animale. Ça nécessite, en soi, une culture intensive beaucoup plus grande que si on mangeait les protéines végétales directement des céréales. En soi, notre territoire agricole n'est pas utilisé de manière optimale.

À la Ivey Business School, à London, en Ontario, le professeur Joshua Pearce tente de maximiser la productivité du territoire, sous toutes ses formes. Il développe des systèmes agrivoltaïques, qui marient la production agricole à la production d’énergie solaire.

Je ne pense plus que la production conventionnelle d’énergie solaire soit une bonne idée.

Joshua Pearce, professeur, Ivey Business School

Il tente de faire pousser toutes sortes de cultures sous des panneaux amovibles. Des systèmes déjà bien avancés en Europe.

Les résultats préliminaires en Amérique du Nord sont très prometteurs, explique-t-il. Nos études aux États-Unis démontrent que la laitue pousse mieux sous des panneaux solaires grâce à l’ombre partielle qu’ils procurent. En Arizona, le rendement de poivrons placés sous des panneaux augmente de 250 %.

Le potentiel de ces systèmes est énorme, selon lui. On pourrait éliminer le carbone émis par la production d'électricité si seulement un pour cent de nos terres agricoles hébergeaient des systèmes agrivoltaïques.

Certains systèmes en développement seront installés dans quelques fermes canadiennes au printemps 2024.

Mais selon Pierre-Olivier Pineau, notre production actuelle de nourriture, axée sur l’agriculture intensive, doit aussi changer complètement.

Ça va s'ajouter aux changements dans notre manière de consommation d'énergie qu'on devra réaliser si on est sérieux dans notre trajectoire vers la carboneutralité, dit-il.

Il faut intégrer davantage d'énergies renouvelables, mais il n'y a malheureusement pas de compensation qui sera suffisante à long terme pour nous amener vers un plus grand respect des écosystèmes, ajoute M. Pineau.