Un article écrit par Radio-Canada

Ces aliments ultratransformés qui peuvent vous rendre malade

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Des céréales colorées dans un bol

Il s’agit de produits fabriqués en usine à partir de matières premières telles que le blé, le maïs, la viande réformée et d’autres, que l’on décompose pour en extraire des sous-produits, qui sont ensuite transformés à leur tour. On ajoute à ces substances des quantités élevées de sucre, de sel et de gras, mais aussi des additifs industriels (émulsifiants, saveurs artificielles, colorants, etc.) afin de les rendre plus savoureux, augmenter leur durée de conservation ou rehausser leur apparence.

L’aliment entier est tellement transformé par ces processus chimiques, physiques et biologiques qu’il perd toute valeur nutritive.

Le résultat : des substances comestibles produites industriellement, selon la définition de Christopher Van Tulleken, auteur de Ultra-Processed People, des substances à faible coût et à longue durée de vie.

Si un produit est emballé dans du plastique et contient une longue liste d’ingrédients que l'on ne connaît pas, on peut se douter qu’il s’agit d'un aliment ultratransformé, souligne-t-il dans son livre.

Ce sont des produits qu’on a transformés jusqu'à ce qu’ils deviennent quelque chose de non reconnaissable par rapport à la matière première d'origine, explique en entrevue depuis Paris Jean-David Zeitoun, spécialiste en hépato-gastro-entérologie, auteur du livre Le suicide de l'espèce, Comment les activités humaines produisent de plus en plus de maladies (Denoël).

La nourriture ultratransformée s’est généralisée dans les années 1970 dans les pays industrialisés pour répondre au besoin d’une nourriture peu coûteuse et qui se conserve plus longtemps.

Margarine, grignotines, sauces prêtes à servir, biscuits salés et sucrés, boissons sucrées, saucisses et pizzas surgelées sont quelques exemples, mais il en existe beaucoup d’autres.

En fait, les allées des supermarchés regorgent de ces articles. Pour les consommateurs, il est difficile de faire un choix éclairé puisqu’ils ne peuvent se baser que sur la liste d’ingrédients, qui n’est pas évidente à déchiffrer pour les non-initiés.

Le sucre, notamment, peut se retrouver sous une cinquantaine d’appellations différentes (dextrose, sirop de maïs, éthylmaltol, glucose, fructose, etc.).

Beaucoup trop.

L’apport calorique des aliments ultratransformés dans le panier d’épicerie des Canadiens était de 45,7 % en 2015 (date de la dernière Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes), avec un sommet de 53,2 % pour les adolescents de 13 à 18 ans.

Le phénomène est mondial. La consommation de ces produits a connu une croissance exponentielle au cours des dernières décennies.

C’est en Amérique du Nord, en Australasie, en Europe et en Amérique latine que les ventes sont actuellement les plus élevées, mais elles augmentent de façon marquée en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique, car les grandes multinationales qui fabriquent ces aliments se tournent vers de nouveaux marchés.

Aux États-Unis, où la consommation d’aliments ultratransformés est la plus élevée au monde, ils représentent 57 % de l’énergie consommée par les adultes et 67 % de celle consommée par les enfants de 2 à 19 ans.

Les aliments ultratransformés les plus vendus au Québec sont :

  1. les boissons sucrées
  2. les jus de fruits purs
  3. les pains industriels
  4. les mets prêts à manger
  5. les yogourts aromatisés

De plus en plus d’études montrent des liens entre la consommation d’aliments ultratransformés et l'augmentation de l’obésité et de maladies chroniques telles que le cancer, le diabète et les maladies cardiovasculaires. Une diète riche en aliments ultratransformés a également été associée à un risque accru d'anxiété, de dépression et de déclin cognitif.

Plus ces aliments sont consommés, plus la qualité de l'alimentation se dégrade et plus le risque de maladies chroniques, mais aussi de maladies de santé mentale, va augmenter.

Jean-Claude Moubarac, professeur agrégé et chercheur au Département de nutrition de l’Université de Montréal

La prévalence de l’obésité a presque triplé entre 1975 et 2016 au niveau mondial.

Au Canada, elle est passée de 14 % en 1978-79 à 24 % en 2019.

La croissance de la prévalence mondiale de l'obésité s'est produite en parallèle de celle de la consommation d’aliments ultratransformés, observe la Fédération mondiale de l’obésité.

Un constat partagé par Jean-David Zeitoun. Le degré de certitude d'un lien entre les aliments ultratransformés et certaines maladies est variable selon la maladie, explique-t-il. Pour l'obésité, le diabète et le foie gras, c'est à peu près certain.

Le fait de consommer des aliments plus transformés, ça peut être associé à un apport en énergie, en gras, en sucre et en sel plus important, relève Véronique Provencher, professeure et chercheure à l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels de l’Université Laval.

De plus, ces aliments contiennent différents additifs et conservateurs, dont on ne connaît pas bien tous les effets à long terme sur la santé. Certains sont potentiellement cancérigènes ou peuvent altérer la composition du microbiote intestinal, entraînant l’aggravation de nombreuses pathologies inflammatoires chroniques (polysorbate 80, carboxyméthylcellulose, BHA et BHT, dioxyde de titane, méthylparabène, édulcorants artificiels, etc.).

Quand vous achetez un médicament en pharmacie, vous achetez un produit qui vient d'un système lourdement régulé, c'est-à-dire qu'on fait des études pour savoir si le médicament que vous allez prendre n'est pas trop dangereux, observe Jean-David Zeitoun. Mais pour certains produits qu’on peut acheter au supermarché et manger trois fois par jour tous les jours, il n'y a aucune étude qui est faite.

Vous ne prendriez jamais un médicament qui aurait été aussi peu testé que les produits du supermarché.

Jean-David Zeitoun, spécialiste en hépato-gastro-entérologie

La transformation des aliments n’est pas une mauvaise chose en soi. Le pain et le fromage, par exemple, en font partie, tout comme les conserves. Dans le cas des aliments ultratransformés, toutefois, les processus chimiques qu’ils subissent méritent, selon les chercheurs, qu’on les classe dans une catégorie à part.

Outre ce qu’ils contiennent (des substances transformées, de grandes quantités de sucre, de sel et de gras), il y a aussi tout ce qu’ils ne contiennent pas.

En effet, les aliments ultratransformés remplacent dans la diète des aliments entiers, comme les fruits, les légumes et les légumineuses, riches en fibres, protéines et autres nutriments dont nous avons besoin.

Lorsqu’on les compare aux autres aliments, les aliments ultratransformés sont plus pauvres en fibres, en protéines, en calcium, en potassium, en zinc et en fer, en phosphore, en magnésium, en vitamines A, D, B6 et B12, en riboflavine ainsi qu’en niacine, que les autres aliments.

Ces produits ne sont pas conçus avec une vision nutritionnelle, ce sont des produits de consommation.

Jean-Claude Moubarac, chercheur au Département de nutrition de l’Université de Montréal

Les aliments ultratransformés fournissent trois fois plus de sucres libres et près de trois fois moins de protéines que les autres aliments et ingrédients.

Selon une étude publiée en 2019 dans la revue scientifique The Lancet, une mauvaise alimentation serait responsable du décès d’un plus grand nombre de personnes que le tabagisme. Quelque 11 millions de personnes meurent chaque année dans le monde à cause d’une mauvaise alimentation, soit 3 millions de plus que celles qui meurent à cause du tabac. Une consommation élevée en sodium et insuffisante en grains entiers et en fruits est le principal facteur de risque.

L’épidémie d’obésité et l’explosion des maladies chroniques sont un défi de taille pour la santé publique. Les coûts qu’elles engendrent augmentent de façon exponentielle depuis des années.

Les gouvernements tardent toutefois à mettre en place des mesures pour freiner la consommation de ces aliments, déplore Jean-Claude Moubarac.

Le gouvernement ne fait rien, ou très peu de choses, en matière de politiques publiques pour changer la donne, note-t-il. On mise encore beaucoup sur l'approche volontaire en espérant que les compagnies vont réduire leurs efforts publicitaires ou diminuer la quantité de sucre dans leurs produits. Mais ce qu'on voit dans le monde, c'est que ça ne fonctionne pas.

Santé Canada recommande aux gens de limiter la consommation de boissons et d’aliments hautement transformés parce qu’ils ne font pas partie de saines habitudes alimentaires dans la mesure où ils constituent un apport excessif en sodium, en sucre ou en gras saturés, ce qui peut augmenter les risques de maladies chroniques.

Le message est semblable du côté du ministère de la Santé du Québec. Diminuer votre consommation d’aliments hautement transformés riches en sodium, en sucres ou en gras saturés est un moyen de réduire les effets néfastes que peuvent avoir ces aliments sur votre corps et de prévenir l’apparition de maladies, souligne-t-on.

Plusieurs politiques ont été mises en place ces dernières années pour encourager les Québécois à consommer des aliments moins transformés et améliorer la valeur nutritive des aliments disponibles sur le marché.

On hésite cependant encore à imposer des taxes sur ces produits nocifs pour la santé, une solution pourtant préconisée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

La responsabilité individuelle ne peut pleinement jouer son rôle que si on a accès à un mode de vie sain. Il est donc important qu’au niveau de la société, l’individu soit aidé [...] par la mise en œuvre durable de politiques [...] qui rendent les choix de l’activité physique régulière et de meilleures habitudes alimentaires disponibles, financièrement avantageux et facilement accessibles pour tout un chacun, y compris les plus pauvres, écrit l’OMS.

Le prix des aliments est un facteur décisif pour les achats, affirme Charlène Blanchette, chargée des dossiers en alimentation à la Coalition québécoise sur la problématique du poids (Coalition Poids). Or, les aliments ultratransformés sont généralement peu coûteux et sont très souvent en promotion.

Ce n’est pas normal qu’un casseau de fraises du Québec, en pleine saison, revienne plus cher qu'un sac de chips ou qu’une bouteille de 2 litres de boisson sucrée.

Charlène Blanchette, de la Coalition québécoise sur la problématique du poids

Le prix des aliments sains devrait être plus bas et celui des aliments moins nutritifs, plus élevé, insiste Mme Blanchette. En ce moment, on taxe les fruits et légumes précoupés, alors qu’on est frileux à l'idée d'ajouter une taxe sur les boissons sucrées. Quelle est la logique? se demande-t-elle.

Terre-Neuve-et-Labrador a commencé en septembre 2022 à imposer une taxe de 20 ¢ le litre sur les boissons sucrées.

Des pays comme le Chili et le Mexique, qui ont adopté cette politique, ont constaté une diminution de la consommation de ce type de boissons.

D’autres estiment, cependant, que c’est une mesure contre-productive.

Pour les consommateurs, il n’est pas toujours facile de faire des choix santé, note Charlène Blanchette, de la Coalition Poids. Nos milieux de vie nous encouragent à surconsommer les aliments ultratransformés, observe-t-elle.

L'environnement nous expose aux choix alimentaires malsains, plutôt que le contraire, ajoute Jean-Claude Moubarac. Tant au niveau du prix que de la disponibilité et surtout de la publicité, on n'est pas encouragé à faire des choix sains ni écologiques.

La promotion dont bénéficient ces produits est un enjeu auquel on devrait s’attaquer, estime la Coalition Poids.

Il faut vraiment être critique par rapport au marketing alimentaire parce qu'il est très agressif, rappelle Mme Blanchette.

Peu importe ce qui est écrit sur l'emballage, que ce soit Keto, sans gluten, réduit en sucre, choix sensés, etc. pour notre santé, il n’y a rien qui égale la consommation d'aliments qui sont très peu ou pas transformés.

Charlène Blanchette, de la Coalition Poids

Il faudrait notamment mieux encadrer la publicité visant les enfants, qui sont incapables de reconnaître les intentions commerciales du marketing, soutient-elle.

Un étiquetage plus clair aiderait également les consommateurs à s’y retrouver. Certaines modifications imposées par Santé Canada doivent être appliquées d’ici la fin de l’année, dont un meilleur affichage de la teneur en sucre des aliments.

Cependant, un projet d’étiquetage exigeant que les produits préemballés qui contiennent des niveaux élevés de gras saturés, de sucre ou du sodium soient clairement identifiés a été reporté et ne devrait pas être en place avant 2026.

Plusieurs pays, dont l’Argentine, le Chili, la Colombie et le Mexique, utilisent déjà ce type d’étiquetage.

Cela va être un bon moyen, si on a à choisir entre trois ou quatre boîtes de céréales, pour savoir laquelle contient plus ou moins de sucre, explique Véronique Provencher. Donc, ça aide à discriminer.

L’objectif est également d’inciter l’industrie à reformuler ses recettes et à diminuer la teneur en gras saturés, en sodium ou en sucre des produits pour éviter d’avoir à apposer ce symbole sur l’emballage, ajoute-t-elle.

Un procédé qui ne convainc pas Jean-Claude Moubarac. On mise encore beaucoup sur l'approche volontaire, en espérant que les compagnies vont réduire leurs efforts publicitaires ou la quantité de sucre dans leurs produits, souligne-t-il. Mais ce qu'on voit dans le monde, c'est que cela ne fonctionne pas.

Demander à l'industrie de mener volontairement des actions qui vont lui faire perdre du profit, c’est illogique.

Jean-Claude Moubarac, chercheur au Département de nutrition de l’Université de Montréal

Un avis partagé par Jean-David Zeitoun. Quand toute la société est faite pour rendre accessibles et abordables des produits trop transformés, artificiels et très mauvais pour la santé, évidemment que les individus cèdent à certaines facilités au détriment de leur santé, remarque-t-il.

Ce qui est fallacieux et trompeur, c'est de dire que l'offre alimentaire doit être laissée tranquille, que les industriels peuvent faire ce qu'ils veulent et que c'est uniquement aux individus de faire attention à ce qu'ils achètent.

Jean-David Zeitoun, spécialiste en hépato-gastro-entérologie

Le gouvernement a un rôle à jouer pour s’assurer que l’offre soit moins minable et plus diversifiée, croit-il.

D’autant plus que la consommation de produits ultratransformés n’est pas près de disparaître.

Ce n'est pas tout le monde qui va se mettre à faire leur pain, leur yogourt ou leur fromage, souligne Véronique Provencher. Ces aliments existent parce qu'ils répondent à des besoins. Tout est dans la surconsommation.[...] On ne peut pas toujours consommer des aliments emballés, ça prend de la diversité.

Il est important aussi, remarque-t-elle, que les politiques publiques encouragent les entreprises qui proposent des produits de meilleure qualité. C’est d’ailleurs un des objectifs de la politique bioalimentaire du Québec, qui vise, entre autres, l’amélioration de la qualité nutritive des aliments transformés.

Développer une meilleure offre est nécessaire, estime également Jean-Claude Moubarac. Il faut favoriser une transformation vers un système qui produit davantage d'aliments frais peu transformés, qui soit plus rentable pour les agriculteurs et meilleur pour l'environnement, note-t-il.

Présentement, l'ultratransformation profite aux corporations qui vendent ces produits et ça procure du plaisir à beaucoup de gens, mais le prix à payer au niveau individuel et sociétal, il est énorme.

Jean-Claude Moubarac, chercheur au Département de nutrition de l’Université de Montréal