Un article écrit par Géraldine Martin

Shauit et Yves Lambert : quand la musique innue se mêle au folklore québécois

Arts > Autochtones

L’artiste innu Shauit (à droite) sort un album en collaboration avec le chanteur et accordéoniste Yves Lambert (à gauche) : un mariage unique entre les univers traditionnels innu et québécois.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
L’artiste innu Shauit (à droite) sort un album en collaboration avec le chanteur et accordéoniste Yves Lambert (à gauche) : un mariage unique entre les univers traditionnels innu et québécois.

L’artiste innu Shauit sort le 31 mars l'album Natukun, qui signifie « remède ». Plusieurs titres ont été enregistrés avec Yves Lambert, grand représentant de la musique traditionnelle québécoise, dont la pièce Ka Utapanashkutshet, déjà offerte sur les différentes plateformes d’écoute musicale.

Leur collaboration au départ, c'est juste deux chums qui font de la musique ensemble, explique Shauit en souriant. C’est simplement l’histoire d’une camaraderie qui s’est ficelée au fil des ans, autour de valeurs communes et de l’amour de la musique traditionnelle.

Né d’une mère innue et d’un père acadien, Shauit a grandi dans un petit village près de Victoriaville, avant d’aller s’installer à Montréal. Moi, j'ai toujours aimé ça, la musique folklorique, les rigodons, les violoneux. J'ai vécu là-dedans, en grandissant, il y avait des soirées canadiennes avec du monde qui chante et qui danse.

C’est à l’adolescence qu’il commence à faire de la musique et à développer ses goûts musicaux, d’abord pour le folk innu, influencé par Kashtin, un duo de sa communauté, puis, plus tard, pour le reggae et le dancehall. C'est vraiment quelque chose qui est venu me chercher [...] en habitant à Montréal, très multiculturelle, j'étais à proximité de gens qui viennent d'ailleurs, puis la musique fait partie de la culture.

C’est grâce à la musique, mais aussi pour la musique, que Shauit plonge dans la culture innue et décide de se réapproprier ses racines et sa langue. J'ai repris contact avec [ma mère], alors que j'avais 12 ans. À partir de là, j'ai commencé à me redécouvrir, mon identité en tant qu’Innu, que j'avais comme perdu de vue.

En 2008, il fait la rencontre d’Yves Lambert lors d’un concert à Québec. Et tout de suite, on a connecté… Tu sais, c'est le regard, hein, c'est le feeling… On s’est respecté de suite, raconte ce dernier. Originaire de Joliette, le musicien, accordéoniste et chanteur Yves Lambert se considère avant tout comme un artiste sans étiquette.

La musique traditionnelle québécoise m'a servi de pont pour découvrir d'autres cultures [...] je suis un autodidacte, je fonctionne par oreille.

Yves Lambert

Une franche camaraderie

Entre les deux musiciens, malgré les vingt ans qui les séparent et leurs influences distinctes, la collaboration est naturelle.

C'est ça que j'aime, on a du fun, on a du plaisir [...] Il faut que ça passe par là, car l'essence de la musique, c'est la sensibilité, l'ouverture, c'est ça qui est important, note Yves Lambert.

L’alchimie entre les deux artistes est palpable. C’est simple ce qu’on fait, mais complètement plein de chaleur, ajoute-t-il.

Leurs deux univers, la musique traditionnelle innue et québécoise, se mêlent avec facilité, selon Shauit. J’aime cette richesse-là [...] c'est des belles cultures qu'on a au Québec, autant autochtone que non-autochtone.

Ça fait 400 ans aussi quelque part [que nos peuples se côtoient], renchérit Yves Lambert.

Cette alliance avec Shauit a beaucoup de sens à ses yeux : Au niveau historique, puis au niveau symbolique, c'est intéressant. Puis au niveau artistique et au niveau de l’amitié, c'est intéressant.

Un peuple en voie de guérison

L’album Natukun regroupe 10 pièces, chantées en français et en innu, qui explorent le thème de la réconciliation. Avant dans les médias, le seul moment où on parlait de nous, c'est quand on faisait de quoi qui était jugé pas correct, comme bloquer une route, constate Shauit. On le faisait parce qu’on n’était pas écoutés, dit-il.

Aujourd’hui il estime qu’il y a une forme d’éveil des consciences à propos des pensionnats et des différentes épreuves qu'ont traversées les Autochtones. J'aime bien dire qu'on nous redonne notre place.

La réconciliation, je pense que ça fait partie de notre guérison. Je pense que les Autochtones et les non-Autochtones ont besoin de faire un pas dans ce sens-là.

Shauit

Plus largement, dans Natukun, l’artiste innu transmet un message de paix, au rythme du tapage de pied et du tambour. Shauit, c’est un peace. Ce n'est pas quelqu'un qui, dans ses chansons, amène la culpabilité du Blanc, parce que c'est facile de se sentir coupable, confie Yves Lambert.

La langue, véhicule du patrimoine

À travers son album, Shauit souhaite aussi contribuer à la préservation de la langue innue. Il s’est lancé un véritable défi : chanter majoritairement dans la langue de ses ancêtres. Je suis parti d’une connaissance de 4-5 mots […] maintenant, je suis capable d'avoir une conversation strictement en innu.

L’artiste ressent d’ailleurs le besoin de traduire sa langue dans ses chansons, de manière à rendre l’apprentissage plus accessible. C’est bon pour la compréhension, ajoute Yves Lambert, qui participe lui aussi aux chœurs en innu.

La langue est un pan important de la culture, mais elle est dangereusement menacée, déplore Shauit. On est en train de la perdre.

Autour de nous, tout nous pousse à apprendre le français. Pour nos enfants, on a tendance à enseigner le français [pour qu’ils aient une meilleure vie]. Ma mère, c'était sa raison pourquoi elle ne m'a pas enseigné l’innu : parce qu'elle voulait que j'aille loin à l'école. C'est ce qu'elle m'a dit.

Il fait un parallèle entre la situation de l'innu et celle du français, en déclin face à l’anglais au pays. En tant que Québécois, je pense que c'est un peu la même chose, on est entourés d'anglophones, on essaie de garder le français. On se rejoint quelque part, par rapport à ça. On devrait être compris.

La sortie de Natukun sera célébrée le 31 mars au Lion d'Or, à Montréal, lors d’un concert dans le cadre de la Journée nationale des langues autochtones en compagnie des artistes Pako et Maten.