Un article écrit par Radio-Canada

Des chanteuses de gorge inuit revitalisent la tradition et attirent de nouveaux publics

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Les sœurs Tiffany Ayalik et Inuksuk McKay, chanteuses de gorge inuit, forment le duo PIQSIQ. Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
Les sœurs Tiffany Ayalik et Inuksuk McKay, chanteuses de gorge inuit, forment le duo PIQSIQ.

Les sœurs Tiffany Ayalik et Inuksuk McKay, du duo PIQSIQ, étaient enfants lorsqu'elles ont appris pour la première fois la pratique culturelle inuit du chant guttural. Aujourd'hui, elles font partie de ces femmes qui maintiennent en vie une tradition réprimée pendant un siècle au Canada et qui cherchent à inspirer de nouvelles générations.

Si vous demandez à un enfant quand il a appris l'alphabet, il ne pourra probablement pas vous le dire exactement. Pour nous, c'était juste une partie normale de l'enfance, dit Inuksuk McKay.

Les deux sœurs forment le duo de chant guttural électronique PIQSIQ. Leurs racines proviennent du Nunavut, mais elles ont grandi à Yellowknife, aux Territoires du Nord-Ouest.

Le chant guttural est une tradition musicale, une activité qui permet de tisser des liens et un jeu dans lequel deux femmes, debout face à face, mettent à l'épreuve leur agilité vocale et leurs capacités d'improvisation.

Lorsque les gens demandent à Nikki Komaksiutiksak de décrire le chant de gorge, elle leur raconte l'histoire que lui a transmise sa grand-mère.

Un jour, lorsqu'un groupe d'hommes est parti à la chasse, ils ne sont jamais revenus dans la communauté pour nourrir les femmes et les enfants, commence la chanteuse et directrice générale de l'organisme Tunngasugit, à Winnipeg. Deux femmes sont alors allées dans l'océan et ont commencé à imiter différents bruits d'animaux avec leur gorge. C'est ainsi qu'elles ont pu attraper les aliments pour nourrir leurs enfants.

Telle est donc l'origine, selon elle, de cette pratique culturelle qui est aussi une forme d'art, un moyen de tisser des liens et un jeu.

En fait, la première personne qui rit est perdante, dit Nikki Komaksiutiksak. C'est donc un peu une compétition maintenant.

Comme Nikki Komaksiutiksak, les soeurs du duo PIQSIQ participent de la renaissance culturelle qui se produit dans les communautés inuit. Elles constatent que leurs jeunes publics ont envie d'apprendre cette tradition, tout en se la réappropriant de manière innovante.

Aujourd'hui, des gens font un peu la même chose que nous, comme associer le chant de gorge avec de la musique celtique ou avec du rock'n'roll, du country, du folk et de l'électronique, observe Tiffany Ayalik.

Honte et répression

Lorsqu'elles étaient enfants, Tiffany Ayalik et Inuksuk McKay chantaient souvent à gorge déployée en camping, lorsqu'elles n'avaient rien à faire. Cependant, lorsqu’elles demandaient à des membres de leur famille de leur apprendre de nouvelles chansons, elles remarquaient une certaine gêne.

Ce n'est qu'une fois plus âgées que les sœurs ont appris que, à un moment donné, le chant de gorge a failli disparaître. Au début des années 1900, les missionnaires chrétiens ont établi leur présence dans le Nord, interdisant les pratiques culturelles, comme les tambours et les chants de gorge, dans les écoles et les espaces publics.

Ces pratiques étaient taboues, voire illégales, et les personnes qui les pratiquaient étaient passibles d'une amende, voire d'une peine d'emprisonnement.

Inuksuk McKay

Dans les années 1960, Aisa Qupiqrualuk, un sculpteur et conteur inuit qui est devenu plus tard pasteur anglican, a encouragé les femmes du Nunavik à faire revivre plusieurs traditions, dont le chant guttural. Tiffany Ayalik et Inuksuk McKay pensent que cela marqué le début du retour du chant guttural dans la vie quotidienne des Inuit.

Pour Nikki Komaksiutiksak, le chant guttural a joué un rôle important dans son éducation jusqu'à ce qu'elle se retrouve dans le système de protection de l'enfance.

Elle raconte qu'elle a commencé à chanter avec ses cousines vers l'âge de 8 ans, peu avant que sa tante les emmène en voyage pour se produire dans des spectacles. En raison de violences physiques et psychologiques subies en coulisses, elle s'est enfuie avec sa soeur, avant de se retrouver dans plusieurs foyers.

Dans le cadre du système de protection de l'enfance, Nikki Komaksiutiksak a été contrainte de suivre des programmes culturels autochtones. Cependant, aucune des activités ne reflétant sa culture inuit, elle dit avoir dû improviser.

Je chantais à gorge déployée pour les filles dans les foyers et pour les employés, parce que c'était mon identité et que je devais m'assurer de ne pas oublier d'où je venais et qui j'étais.

Nikki Komaksiutiksak

Nouvelle génération

Aujourd'hui, plus de 20 ans après avoir quitté le système de protection de l'enfance, Nikki Komaksiutiksak affirme que le pouvoir du chant l'a aidée à traverser des années plus difficiles. C'est pourquoi elle a voulu perpétuer la tradition, notamment en l'enseignant à ses filles, Chasity et Caramello Swan.

Lorsque nous étions plus jeunes, nous nous disputions, puis nous commencions à chanter et nous redevenions les meilleures amies du monde, dit Chasity. Cela fait du bien à l'âme.

Caramello, 22 ans, renchérit en disant qu'elle se sent plus proche de sa famille lorsque Chasity, 20 ans, chante avec elle.

Lorsque je chante avec ma mère, je me souviens des vibrations, confie aussi Caramello. Et je me souviens de la sensation d'être en elle. C'est comme une étreinte provenant de mon cœur et de ma gorge.

Nikki Komaksiutiksak, Tiffany Ayalik et Inuksuk McKay espèrent que les jeunes générations continueront d'explorer le chant de gorge, ainsi que d'autres traditions inuit.

J'ai l'impression qu'il y a un bel élan qui se produit, où les gens voient à quel point c'est une belle pratique et à quel point il est agréable de faire collaborer ces sons avec des choses que l'on n'aurait jamais pensé à mettre ensemble.

Tiffany Ayalik

J'ai hâte de voir la honte disparaître, conclut Tiffany Ayalik.

Avec les informations de Dannielle Piper et de l’émission Unreserved