Un article écrit par Stéphane Bordeleau

Pas de mesure phare contre la crise du logement et la pénurie de main-d’œuvre

Économie > Entrepreneuriat

Le Québec connaît un important manque de main-d'oeuvre.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
Le Québec connaît un important manque de main-d'oeuvre.

À la lecture du budget déposé mardi par le ministre des Finances, Eric Girard, beaucoup se demandent si Québec prend vraiment la mesure de la gravité de la pénurie de main-d’œuvre et de la crise du logement qui touchent des milliers d’entreprises et de ménages dans la province.

Considérant la pénurie de travailleurs généralisée qui sévit au Québec, le gouvernement Legault a annoncé une série de petites mesures pour venir en aide aux entreprises qui ont dû laisser plus de 18 milliards de dollars sur la table l’an dernier, faute de personnel pour faire tourner leurs commerces et usines.

Chez les représentants de PME et les manufacturiers, le mot insuffisant était sur toutes les lèvres.

Dans le budget qu’il a déposé mardi, le ministre Girard octroie 615 millions de dollars sur six ans (un peu plus de 100 millions de dollars par an) pour aider les entreprises à attirer, former et retenir des travailleurs.

Dans la mesure où les Québécois ne font pas assez d’enfants pour assurer la relève, l’intégration de travailleurs immigrants est le nerf de la guerre sur lequel le gouvernement a choisi de se concentrer, en y consacrant 509 des 615 millions de dollars annoncés.

Cet argent doit notamment renforcer la francisation des immigrants et la mise en place du programme Francisation Québec (213,5 millions), un guichet unique d’accès pour les services d’apprentissage du français.

Plus de 164 millions de dollars serviront aussi à accélérer la reconnaissance des compétences professionnelles des immigrants qui s’installent au Québec.

Soixante-treize millions de dollars iront en incitatifs pour les nouveaux arrivants à s’établir dans les régions du Québec, où il manque plus de 18 000 travailleurs immigrants, selon des données de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI).

À ce chapitre, 25,5 millions de dollars seront aussi consacrés à l’intégration en région de demandeurs d’asile. Une somme de 105,6 millions de dollars sera également investie pour aider les entreprises à rechercher des travailleurs.

Une centaine de millions de dollars servira aussi à assurer la poursuite du Programme de formation de courte durée pour favoriser les stages en entreprises dans les professions priorisées et les plus recherchées.

Québec compte aussi sur la modification qu’il apporte dans ce budget au Régime de rentes du Québec (RRQ) pour inciter les Québécois à travailler plus longtemps ou inciter les retraités à retourner sur le marché du travail en rendant notamment facultatives les contributions au RRQ à compter de 65 ans.

Rappelons que toutes ces mesures s’ajoutent aux 3,9 milliards de dollars sur cinq ans promis par le ministre Girard lors de sa mise à jour économique de l’automne 2021 pour remédier à la pénurie de main-d’œuvre.

Nettement insuffisant

Des sommes importantes, certes, mais insuffisantes, selon les entreprises et les commerçants qui doivent composer avec des difficultés d'embauche qui compromettent le développement et le fonctionnement des entreprises de tous les secteurs, autant privées que publiques.

D'après François Vincent, vice-président pour le Québec de la Fédération canadienne des entreprises indépendantes (FCEI), dont les membres ont essuyé des pertes de plus de 11 milliards de dollars en 2021 en raison de la pénurie de main-d’œuvre, la majorité des mesures annoncées aujourd’hui, y compris la baisse d’impôt, seront utiles.

Toutefois, déplore-t-il, les PME ne pourront surmonter cette crise si Québec n’allège pas leur fiscalité, l’une des plus lourdes du pays, qui est par ailleurs « injuste » pour de nombreuses petites entreprises.

Le nombre de postes vacants dans les PME du Québec est passé de 95 000 en 2017 à 165 100 en 2022, selon les données de la FCEI.

L’analyse du budget Girard est sensiblement la même chez les manufacturiers et les exportateurs pour qui les mesures annoncées aujourd’hui sont nettement insuffisantes.

Le gouvernement a annoncé plusieurs petites mesures qui sont intéressantes, mais qui ne vont pas nécessairement nous donner plus rapidement des gens dans nos usines à travers le Québec, déclare Véronique Proulx, PDG de Manufacturiers et exportateurs du Québec.

Il n’y a pas de mesure phare qui va réellement avoir un impact pour changer la donne.

Véronique Proulx, PDG de Manufacturiers et exportateurs du Québec

Le secteur manufacturier et les exportateurs ont laissé plus de 7 milliards de dollars sur la table l’an dernier faute de main-d’œuvre, souligne Mme Proulx.

Nous, on demandait à ce que les 15 métiers manufacturiers qui sont les plus en demande au Québec, comme les électromécaniciens et les soudeurs, se retrouvent dans les priorités, qu’ils bénéficient de mesures spécifiques pour inciter les gens à se former dans ce secteur-là ou qu’on mise sur ce secteur dans le recrutement international, explique-t-elle.

La PDG Véronique Proulx s’étonne aussi de l’absence dans le budget de mesures phares pour aider les entreprises à robotiser leurs opérations afin de compenser le manque de personnel.

Le manufacturier, c’est le plus grand contributeur au PIB du Québec. C’est 86 % de nos exportations. […] C’est un créateur important de richesse pour le Québec, mais on ne se sent pas supporté adéquatement.

Véronique Proulx, PDG de Manufacturiers et exportateurs du Québec

Peu de mesures pour le logement

L’arrivée massive de nouveaux arrivants au Québec constitue certes une solution pour atténuer la pénurie de main-d’œuvre, mais elle n’arrange en rien l’autre crise que vivent actuellement les Québécois, soit celle du logement à prix abordable.

Faire entrer chaque année des dizaines de milliers de personnes de l’étranger en les invitant à s’établir et à travailler au Québec implique de pouvoir les loger décemment. Ce qui est devenu un véritable défi au Québec, qu’on soit immigrant ou non.

À l’heure où il faut dépenser au moins 1500 $ par mois pour un appartement de cinq pièces dans les grandes villes et que la flambée des taux d’intérêt et les prix très élevés freinent l’accession à la propriété, Québec consacre un milliard de dollars sur six ans au logement social. De ce montant, 650 millions seront alloués à la construction de 1500 nouveaux logements abordables, dont 500 unités en collaboration avec le secteur privé.

Le reste de l’argent servira à financer 450 logements par l'intermédiaire de l’Initiative pour la création rapide de logements et à accélérer la réalisation de 3300 logements Accès Logis déjà annoncés, car comme l’a rappelé le ministre Girard en conférence de presse : Le plus facile avec les logements, c’est de les annoncer.

Le député péquiste Joël Arsenault est d'avis que le gouvernement Legault ne semble pas prendre la mesure de la gravité de la situation qui prévaut partout au Québec.

Selon le député péquiste des Îles-de-la-Madeleine, les troupes de François Legault, qui ont promis de créer 11 000 unités d’ici cinq ans, sont encore très loin du compte et ne semblent pas pressées de s’attaquer à cette crise qui touche un nombre grandissant de citoyens, surtout les plus démunis.

Le gouvernement néglige les questions sociales dans sa planification de l’économie.

Joël Arseneau, député péquiste des Îles-de-la-Madeleine

Dans la mesure où le gouvernement n’atteint pas ses objectifs, qui sont déjà en deçà des besoins actuels, les politiques du gouvernement en matière de logement social ne peuvent qu’aggraver la crise, conclut M. Arseneau.