Un article écrit par Olivier Bourque

Malgré le ralentissement, Québec mise sur les baisses d’impôt

Économie > Politique provinciale

Le ministre des Finances du Québec, Eric Girard, au centre, est applaudi alors qu'il se lève pour présenter le discours du budget. Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
Le ministre des Finances du Québec, Eric Girard, au centre, est applaudi alors qu'il se lève pour présenter le discours du budget.

C’était le secret le moins bien gardé au Québec. Malgré l’incertitude économique qui plane, le gouvernement Legault allège le fardeau fiscal des Québécois et va de l’avant avec des baisses d’impôt qui vont toucher 4,6 millions de contribuables, la promesse phare de la Coalition avenir Québec (CAQ) lors de la dernière campagne électorale.

Dans un contexte hautement imprévisible, entre inflation, hausse des taux d’intérêt et croissance anémique, Québec estime que le taux d’imposition constitue un frein à l’essor économique.

Nous avons conclu notre dernier mandat en faisant une promesse aux Québécois : les aider à affronter la hausse du coût de la vie. Et c’est ce que nous avons fait, a déclaré le ministre des Finances, Eric Girard, qui a déposé, mardi après-midi, son cinquième budget.

Quelles conséquences pour vous?

Comme prévu, le gouvernement abaisse de 1 point de pourcentage les deux premiers taux d’imposition des Québécois. Une baisse de 15 % à 14 % pour le premier palier, de 20 % à 19 % pour le second.

La mesure est immédiate et se fera sentir très rapidement, à partir de l’été, car les retenues à la source seront ajustées dès juillet prochain.

Québec va financer les baisses d’impôt en diminuant ses versements au Fonds des générations. La mesure coûtera 9,2 milliards de dollars sur six ans, soit environ 1,7 milliard par année.

Cela n’aura aucun impact sur les services, a toutefois tenu à rassurer le ministre Girard, en conférence de presse, mardi.

Et les conséquences sur le portefeuille des Québécois? Par exemple, pour un travailleur qui touche un salaire annuel de 40 000 $, la baisse sera de 210 $ en 2023.

Une personne qui gagne 80 000 $ par année payera 628 $ en moins, alors que pour celle qui touche 100 000 $, la baisse sera de 814 $ par année. L’économie pourrait même atteindre 1627 $ pour un couple avec un revenu de 200 000 $.

Une mesure loin de faire l’unanimité

Si la mesure risque de plaire à plusieurs Québécois qui doivent se serrer la ceinture en période d’inflation, elle est loin de faire l’unanimité. Elle est applaudie par la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) qui représente les petites et moyennes entreprises.

Enfin, des baisses d’impôt! […] C’est une orientation qui rejoint près des deux tiers de la population et 78 % des dirigeants des PME, s’est enthousiasmé François Vincent, vice-président de la FCEI.

Au contraire, disent les économistes de l’Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS), la mesure aide surtout les plus riches.

Malheureusement, le gouvernement va de l’avant avec une mesure qui va coûter tout près de 2 milliards de dollars au Trésor et qui va davantage servir des personnes qui n’en ont pas besoin, pense Guillaume Hébert, chercheur à l’IRIS.

Un point de vue partagé par Sébastien Lavoie, économiste à la Banque Laurentienne, qui est d'avis que la mesure aurait dû cibler davantage les plus vulnérables.

Je ne suis pas sûr qu’une baisse d’impôt soit nécessairement une bonne idée dans un contexte de ralentissement économique et de possible récession. Et le gouvernement aurait dû abaisser davantage le palier d’imposition des gens qui gagnent moins d’argent, a soutenu M. Lavoie, en entrevue avec Radio-Canada.

Malgré les baisses annoncées, le Québec demeure encore la province canadienne la plus imposée.

L’impôt sur le revenu des particuliers représente 14,3 % du PIB du Québec, tout près de l’Ontario à 14,1 %. La moyenne canadienne se situe à 12,7 %, alors que celle des pays de l’OCDE est beaucoup plus basse, à 9,5 %.

Changement au Régime des rentes du Québec

Après avoir jonglé avec l'idée, Québec ne rehaussera finalement pas l'âge minimal d'admissibilité à la retraite de 60 à 62 ans. Mais le gouvernement Legault va faire des changements au Régime des rentes du Québec (RRQ) afin d’inciter les travailleurs expérimentés à revenir ou à rester sur le marché du travail dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre.

Actuellement, un employé devait continuer à cotiser au RRQ même lorsqu’il bénéficiait d’une rente de retraite.

Mais à partir du 1er janvier prochain, les travailleurs rentiers de 65 ans et plus auront maintenant le choix d’arrêter leurs cotisations. Ce sera donc facultatif. Cette cessation concernera à la fois le salarié et l’employeur.

Le revenu de travail conservé après impôts sera encore plus avantageux, soutient le gouvernement.

Par exemple, pour un travailleur de 65 ans avec un revenu annuel de 15 000 $, la mise en place de la cotisation facultative permettra d’augmenter son revenu disponible de 606 $, indiquent les documents budgétaires.

Québec va aussi augmenter dès le 1er janvier prochain l’âge maximal pour demander la rente de retraite qui passe de 70 à 72 ans.

Le gouvernement va aussi introduire une protection de la rente pour les travailleurs de 65 ans ou plus ayant subi une diminution de leur revenu.

Pas de récession et la dette

Malgré le contexte inflationniste, la hausse des taux d’intérêt qui déstabilise les ménages et le système bancaire, Québec ne voit toujours pas de récession dans sa boule de cristal.

J’évalue toujours à 50 % les chances d’avoir une récession, a précisé M. Girard, mardi, en se défendant d’avoir un excès de confiance.

Si la croissance économique était de 2,8 % en 2022, elle ne devrait pas dépasser 0,6 % en 2023, permettant au Québec d’éviter la récession. L’an prochain, la croissance devrait reprendre un peu de vigueur et atteindre 1,4 %. Le gouvernement prévoit que le taux d'inflation sera à 3,5 % en 2023.

La situation des finances publiques s’est aussi améliorée et le déficit budgétaire est moins important que prévu. Il devrait maintenant atteindre 5 milliards de dollars pour l’année 2022-2023 (comparativement à 6,5 milliards lors des prévisions du budget de mars 2022).

Le déficit pour la prochaine année devrait atteindre 4 milliards de dollars, puis diminuer graduellement d’un milliard par année. Québec prévoit toujours un retour à l’équilibre budgétaire en 2027-2028.

La dette du Québec atteindra 207 milliards de dollars au 31 mars 2023, soit 37,4 % du produit intérieur brut. Son poids représentera 37,7 % de l’économie en 2024 avant de redescendre graduellement.

La réduction du poids de la dette demeure une priorité, selon le gouvernement caquiste qui annonce aussi de nouvelles cibles plus agressives de réduction. D’ici 2037-2038, Québec veut que la dette nette représente 30 % du PIB, une position critiquée, notamment par les syndicats.

Sans aucune forme de débat public, le ministre des Finances impose aujourd’hui de nouveaux objectifs de réduction. Il n’est pas surprenant que dès l’an prochain les budgets de la santé et services sociaux, de l’éducation […] auront des augmentations budgétaires nettement en deçà des coûts du système, a souligné la présidente de la CSN, Caroline Senneville.

Autres mesures

Véritable mantra du premier ministre François Legault, le gouvernement maintient aussi son objectif de réduire l’écart de richesse avec l’Ontario.

Afin d’augmenter la productivité de l’économie québécoise, le budget prévoit 888 millions de dollars sur cinq ans pour stimuler l’investissement privé.

Le gouvernement élargit son congé fiscal pour les grands projets d’investissement, ceux qui atteignent 100 millions de dollars. Ces entreprises pourront bénéficier d’un congé d’impôt sur le revenu.

La mesure concerne plusieurs secteurs d’activité comme l’agriculture, la fabrication, mais aussi l’extraction de minéraux critiques et stratégiques sur laquelle le gouvernement mise de plus en plus pour sa filière batterie.

Le gouvernement veut aussi que les Québécois priorisent l’achat d’ici et va réserver un appel d’offres public aux petites entreprises du Québec.