Un article écrit par Radio-Canada

Le lourd héritage des pesticides

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Épandage de pesticides

Ils nous nourrissent et leur métier les a rendus malades. Les agriculteurs québécois victimes des pesticides de synthèse peinent à obtenir la reconnaissance de leur maladie professionnelle. Mais en France, grâce au travail des scientifiques, la reconnaissance des maladies agricoles va beaucoup plus loin.

La semaine verte nous fait découvrir le difficile combat des victimes des pesticides.

Sa démarche est lente, son débit hésitant. Les symptômes de la maladie de Parkinson progressent depuis que le diagnostic est tombé en 2014 pour Serge Giard, le président de l’association Victimes des pesticides du Québec.

L’agriculteur à la retraite a été en contact avec les pesticides pendant une trentaine d’années, avant de prendre le virage bio. Un médecin spécialiste a confirmé le lien entre la maladie dont il souffre et l’exposition aux pesticides.

Depuis 2019, Serge Giard se bat pour défendre les agriculteurs que les pesticides ont rendus malades. Pour moi, il n'y a plus rien à faire, lance-t-il, résigné. Mais si je peux aider ou collaborer à empêcher des personnes d'attraper cette maladie-là, j'aurai fait quelque chose de bon.

L’homme s’impatiente. La maladie de Parkinson liée à l’exposition professionnelle aux pesticides se trouve dans la liste des maladies professionnelles depuis deux ans au Québec. Or, aucun producteur agricole québécois n’a encore obtenu cette reconnaissance ni n’a été indemnisé par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (CNESST).

Pour y être admissible, un agriculteur doit répondre à trois conditions :

  1. Avoir été exposé aux pesticides pendant 10 ans ou plus;
  2. Recevoir son diagnostic dans les 7 ans suivant la fin de l’exposition aux pesticides;
  3. Avoir cotisé à la CNESST.

Serge Giard ne répond pas aux deux derniers critères. Le cofondateur de Victimes des pesticides du Québec, Pascal Priori, ne manque d’ailleurs pas de rappeler que dans la province, une majorité de producteurs agricoles n’ont jamais cotisé à la CNESST et ne pourront pas être indemnisés.

C'est comme si on disait : "Ben, regardez, la maladie de Parkinson est admissible. Mais en fait, vous n'avez pas le droit." Cette reconnaissance est malheureusement une façade pour la majorité de la population qui a été exposée aux pesticides.

Pascal Priori, cofondateur et administrateur, Victimes des pesticides du Québec

En fait, le premier et unique travailleur agricole québécois à voir sa condition reconnue comme maladie professionnelle par la CNESST et à pouvoir toucher des indemnisations est l’agronome-chercheur Gérald Chouinard, de l’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA). Il travaille dans les vergers depuis 35 ans.

J'ai été exposé à au moins une trentaine de matières actives, explique Gérald Chouinard. On voyait ça comme des produits sélectifs, sécuritaires. C’était la publicité qui était faite à l'époque.

Employé de l’État, il s’est battu pour la reconnaissance de sa maladie professionnelle et a essuyé un premier refus de la CNESST. Avec le soutien de Victimes des pesticides du Québec, il a contesté la décision devant le tribunal administratif.

En 2022, le juge a conclu que la preuve démontre sans équivoque une exposition professionnelle à différents pesticides avec un risque significatif de développer la maladie de Parkinson.

Ce même tribunal avait reconnu quelques mois plus tôt qu’un lymphome non hodgkinien diagnostiqué chez un ouvrier agricole mexicain était une maladie professionnelle. Armando Lazo Bautista pulvérisait des pesticides contenant du glyphosate et du malathion dans des vergers et une bleuetière de la Montérégie.

Malgré ces deux victoires, le combat est loin d’être terminé pour Victimes des pesticides du Québec, qui souhaite que d’autres pathologies liées à l’exposition aux pesticides soient officiellement reconnues.

Je considère que les pesticides ont écrabouillé ma vie.

Christian Jouault, agriculteur à la retraite

En France, l’agriculteur breton à la retraite Christian Jouault estime que les pesticides sont responsables non seulement de sa maladie, mais aussi de la mort de son épouse, emportée par un lymphome non hodgkinien en 2006. Fille de paysans, elle a longtemps été en contact avec les produits chimiques.

En 2015, le mauvais sort s’est abattu sur lui.

Un beau jour, j'ai eu une terrible envie de pisser, se remémore-t-il. Je suis allé aux toilettes et c'était que du sang. On m'a immédiatement envoyé au Centre hospitalier universitaire. Et là, on a détecté un cancer.

Il souffre d’une forme agressive du cancer de la prostate. Les médecins font le lien avec les pesticides auxquels il a été exposé pendant plus de trois décennies.

J'avais 15, 16 ans et mon père avait acheté un tracteur et un pulvé. J’étais sur le tracteur torse nu, sans aucune protection. On mettait les produits dans le tonneau à pulvériser et il nous arrivait même, quand ça ne se mélangeait pas bien, d'y mettre la main. C'était abominable. À l'époque, je n'avais pas conscience de ça, raconte Christian Jouault.

Avec l’aide du Collectif de l’Ouest, l’une des deux associations françaises venant en aide aux victimes des pesticides, il s'est battu en justice pour que son cancer soit reconnu comme maladie professionnelle. Il a gagné sa cause et a finalement reçu une indemnisation en 2022.

Ce combat a mené récemment à la reconnaissance en France du cancer de la prostate comme maladie professionnelle en lien avec l’utilisation des pesticides. Pour le porte-parole du Collectif de l’Ouest, Michel Besnard, cette reconnaissance va bien au-delà de l’aspect financier.

Beaucoup de gens nous disent : "Moi, je ne fais pas ça pour l'argent, mais je ne voudrais pas que ça se reproduise pour d'autres." C'est une reconnaissance de la société pour le mal qu'elle a fait à des gens. Ils le vivent comme ça. C'est vachement important.

Michel Besnard, porte-parole, Collectif de l’Ouest

Outre le cancer de la prostate, d’autres pathologies sont officiellement inscrites aux tableaux des maladies professionnelles en France : le Parkinson, le lymphome non hodgkinien qui englobe le myélome multiple et la leucémie lymphoïde chronique, et d’autres maladies du sang telles que certaines leucémies aiguës.

La reconnaissance de ces maladies professionnelles donne droit à des rentes versées par le régime de protection de la Mutualité sociale agricole, auquel l’ensemble de la population agricole doit obligatoirement cotiser.

Un fonds spécial offre un complément d’indemnisation aux producteurs agricoles. Il indemnise aussi certains agriculteurs retraités et les enfants malades en raison d'une exposition prénatale aux pesticides.

Ces avancées, la France les doit notamment à Paul François, le fondateur de Phyto-Victimes, la plus importante association d’aide aux professionnels victimes des pesticides de France, créée en 2011.

L’agriculteur Paul François, intoxiqué par un herbicide, avait entrepris à l’époque un long combat judiciaire contre la multinationale Monsanto. Depuis, Phyto-Victimes s’est battue pour faire reconnaître les droits de près de 600 personnes et les a accompagnées dans les longues et difficiles démarches administratives et juridiques.

L’actuel président de Phyto-Victimes, Antoine Lambert, ne manque d’ailleurs pas de souligner la précieuse contribution des scientifiques indépendants.

Si on rembobine 11 ans en arrière, la problématique santé en lien avec les pesticides, on n’en parlait quasiment pas. C’était peu connu encore. On n’a pas travaillé tout seuls, loin de là. Derrière tout ça, il y a aussi des scientifiques qui font des travaux régulièrement, qui publient.

Antoine Lambert, président, Phyto-Victimes

Le chercheur Pierre LeBailly, par exemple, a coordonné la grande enquête épidémiologique indépendante Agrican, lancée en 2005. Agrican suit l’état de santé de 180 000 personnes affiliées à la Mutualité sociale agricole. C’est la plus grande cohorte mondiale d’agriculteurs jamais étudiée.

Il n’y avait pas de statistiques et il n'y avait quasiment pas de données sur le risque pour la santé des agriculteurs en matière de cancers, explique Pierre LeBailly.

L’étude Agrican nous apprend que les agriculteurs présentent moins de cancers que la population générale. Ils développent cependant beaucoup plus de certains types de cancers, comme les lymphomes, les cancers de la prostate et ceux de la peau.

On a vu des excès de cancers de la vessie chez les producteurs de légumes et les gens qui travaillent dans les serres. On a vu un excès de cancers de la prostate chez les éleveurs de bovins qui mettent des antiparasitaires sur leurs animaux. On a vu aussi un lien avec l'arboriculture fruitière. On a travaillé sur la maladie de Parkinson et là on a vu un lien avec tous les secteurs de production.

Pierre LeBailly, coordinateur, Agrican

Son collègue Xavier Coumoul dirige une équipe de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) qui a publié une étude choc en 2021. Cette vaste revue de la littérature sur les pesticides et la santé confirme la présomption forte d’un lien entre l’exposition aux pesticides et six pathologies. À celles déjà inscrites aux tableaux des maladies professionnelles en France s’ajoutent les troubles cognitifs et des maladies respiratoires.

Il y avait plus de bronchites chroniques chez ces personnes et aussi plus de cas d'une pathologie bien particulière, une pathologie obstructive des bronches, souligne Xavier Coumoul.

L’étude établit également une présomption de lien moyen avec la maladie d’Alzheimer, les troubles anxiodépressifs, des cancers de la vessie et du rein, des cancers des tissus mous et osseux et des pathologies de la glande thyroïde.

De nouvelles molécules qui inquiètent les scientifiques

Au fur et à mesure que les scientifiques recueillent des données sur la toxicité des pesticides, de nouvelles molécules font leur apparition sur le marché.

Par exemple en Europe et en Amérique du Nord, l’utilisation d’une famille de pesticides, les SDHi, s’est accrue depuis une dizaine d’années. Ces fongicides limitent la prolifération des champignons et des moisissures en culture maraîchère, viticulture et grandes cultures.

Dans les laboratoires de l’Université Paris Cité, la chercheuse Sylvie Bortoli et ses collègues se sont intéressés aux effets potentiels des SDHi sur la santé humaine.

Ce qui nous a perturbés, c'est la découverte que ces pesticides ont été conçus pour avoir un mode d'action très particulier, qui est de cibler la mitochondrie, raconte Sylvie Bortoli.

Les mitochondries assurent la survie des cellules en leur fournissant de l’énergie. Or, les SDHi bloquent une enzyme des mitochondries, les privent de leur principale source d’énergie et donc tuent les cellules des moisissures.

Les tests en laboratoire montrent que les SDHi bloquent aussi une enzyme identique chez les abeilles, les vers de terre et les humains.

Lorsque cette enzyme est inactivée par des mutations génétiques chez l'humain, cela occasionne des pathologies graves, des neuropathies et également des formes rares de cancer.

Sylvie Bortoli, ingénieure de recherche en toxicologie mécanistique, Université Paris Cité

Les chercheurs estiment qu’on doit appliquer le principe de précaution et suspendre l’utilisation des SDHi le temps d’étudier plus à fond leurs dangers potentiels.

C’est donc armé de toutes ces nouvelles données des scientifiques que Phyto-Victimes prépare les prochaines batailles en reconnaissance de maladies professionnelles en France.

Il y a des problématiques pulmonaires et puis toutes les maladies neurodégénératives. On se pose quand même beaucoup de questions sur d’autres maladies.

Antoine Lambert, président, Phyto-Victimes

Au Québec, la professeure au Département de santé environnementale et santé au travail de l’Université de Montréal Maryse Bouchard déplore le retard et le manque de connaissances sur les risques des pesticides pour la santé humaine.

Il n’y a tout simplement pas d'appétit de la part du gouvernement pour financer ce genre de travaux-là, lance-t-elle. On ne semble pas vraiment vouloir savoir quels sont les effets sur la santé.

Maryse Bouchard rappelle que certains pesticides utilisés en agriculture sont des perturbateurs endocriniens. Et ses propres travaux de recherche démontrent que l’exposition prénatale aux pesticides peut affecter le développement de l'enfant, sa capacité d’attention, sa capacité langagière ou encore ses capacités intellectuelles. Voire induire des problèmes de comportement.

Selon elle, le Québec devrait tenir un registre d’utilisation et d’épandage des pesticides permettant de faire des liens avec des problématiques de santé publique.

Pour mieux comprendre les effets globaux sur la santé de la population, faire des corrélations, voir si c'est associé à plus de cas d'un type particulier de cancers, à plus de problèmes de fertilité. On pourrait aussi pairer ces données avec celles du ministère de l'Éducation pour voir si on des diagnostics par exemple d'autisme ou de TDAH.

Maryse Bouchard, professeure agrégée, Département de santé environnementale et santé au travail, Université de Montréal

En France, médecins et scientifiques s’interrogent aussi au sujet de la santé des riverains. Une histoire largement médiatisée en 2012, l’affaire Preignac, a soulevé l’inquiétude. À l’époque, dans ce village de la région viticole de Sauternes, les cas de cancers chez les enfants se multiplient. Suspectant l’épandage de pesticides près de l’école, le maire sonne l’alarme.

L’agence régionale de santé enquête et conclut qu’il y a à Preignac six fois plus de cancers pédiatriques que la normale. Un excès jugé modéré, pouvant être lié à une exposition aux pesticides. L'association Alerte des médecins sur les pesticides convainc la santé publique de France d’étudier les liens entre l’exposition aux pesticides et la survenue de cancers pédiatriques dans les zones viticoles, en se basant sur le registre national des cancers de l’enfant.

Ce qui ressort de tout ça, c'est qu’à chaque augmentation de densité de culture en vignes de 10 % dans un rayon d'un kilomètre autour du domicile de l'enfant, on trouve une augmentation de risque de leucémie de 5 à 10 %. Le risque de leucémie augmente bien en effet.

Pierre-Michel Périnaud, président, Alerte des médecins sur les pesticides

Une autre étude nationale à grande échelle, Pesti-Riv, est en cours dans six régions viticoles de France. Les chercheurs comparent l’exposition aux pesticides des gens résidant près des vignes à celle de ceux vivant loin de toute culture. Les résultats de l’étude à laquelle participent 3350 personnes seront dévoilés en 2024.

La viticulture est à la France ce que la pomiculture est au Québec. Des traitements de produits chimiques fréquents. Des maisons et des établissements publics souvent enclavés dans les vergers.

Mais contrairement à la France, la santé des populations riveraines québécoises est peu documentée, selon la spécialiste en santé environnementale et santé au travail Maryse Bouchard.

Une rare étude a été réalisée au Québec à la fin des années 90 par la Direction de la santé publique. Soixante-seize personnes y ont participé, un mince échantillon. On a mesuré leur niveau d’exposition aux pesticides dans l’urine.

On a regardé s'il y avait plus de résidus de pesticides dans l'urine après des épandages de pesticides chez les enfants qui vivaient plus près des vergers comparativement à ceux qui vivaient plus loin, explique Maryse Bouchard. Et on a vu sans grande surprise qu'effectivement les enfants qui étaient plus proches des vergers avaient plus de pesticides.

Conscients de la toxicité des produits chimiques qu’ils manipulent, de plus en plus de producteurs et de travailleurs agricoles portent des équipements de protection individuelle.

À Sherrington, en Montérégie, le producteur maraîcher Jean-Marie Zumstein enfile tablier en caoutchouc, masque avec filtres et gants en néoprène lorsqu’il procède à l’épandage des pesticides dans ses champs de coriandre et d’oignons.

J'ai pas toujours mis le masque, mais j'ai toujours mis les gants. J’essaie d'évoluer. Faut se dire les vraies affaires, c'est inconfortable de mettre le masque, on épargne du temps si on le met pas. Il y a plein de raisons pour pas le mettre.

Jean-Marie Zumstein, copropriétaire, La Production Barry

Malgré l’inconfort, il a la conviction d’être ainsi adéquatement protégé. L’est-il vraiment? Des chercheurs français ont évalué l’efficacité des équipements de protection. Le professeur d’ergonomie Alain Garrigou de l’Université de Bordeaux a contribué à l’étude terrain PestExpo, réalisée en France au début des années 2000, en grandes cultures et en viticulture.

On a mesuré le niveau de contamination des producteurs pendant la préparation des solutions, lors de l’application des pesticides et pendant le nettoyage des appareils. Onze patchs de gaze stérile de dix centimètres carrés ont été installés sur les bras, avant-bras, jambes, bustes et têtes des participants qui ne portaient pas d’équipement de protection ou encore sous les combinaisons. Après chacune des phases de travail, les patchs ont été retirés, puis analysés.

Les conclusions sont stupéfiantes.

Pendant la phase de préparation, les gens qui portaient des équipements de protection étaient légèrement moins contaminés que ceux qui n'en portaient pas. Quand on s'est intéressé à la phase de traitement, on s'est rendu compte que les gens qui portaient des équipements de protection étaient plus contaminés que ceux qui n'en portaient pas!

Alain Garrigou, professeur d’ergonomie, Université de Bordeaux

Certains produits, conçus pour pénétrer les cellules végétales ou animales, passent au travers des équipements de protection par voie cutanée. Le matériau des combinaisons réagit différemment selon les molécules du produit auquel il est exposé. Un fort niveau de transpiration à l'intérieur des combinaisons facilite aussi le passage des pesticides.

Or, en Europe comme au Canada, les agences réglementaires autorisent la mise en marché de pesticides dangereux à la condition qu’ils soient manipulés avec des équipements qui, en principe, maintiennent l’exposition à un seuil acceptable.

Ça veut dire que les équipements de protection individuelle sont la pierre angulaire de la mise sur le marché des produits dangereux. Or, cette pierre angulaire, elle s'effrite assez vite et elle n'est pas robuste.

Alain Garrigou, professeur d’ergonomie, Université de Bordeaux

Au Canada, le processus d’homologation des pesticides de l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) est aussi de plus en plus critiqué.

Des voix s’élèvent contre la grande place que l'agence laisse à l’industrie des pesticides dans l’évaluation de leurs effets sur la santé humaine. L’ARLA s’appuie majoritairement sur les études et les données fournies par l’industrie.

Je pense que l'industrie a montré qu'elle n’avait pas la crédibilité pour être un joueur pertinent et honnête dans le processus d'homologation. Elle est en trop grand conflit d'intérêts.

Maryse Bouchard, professeure agrégée, Département de santé environnementale et santé au travail, Université de Montréal

Invitée à réagir à ces critiques, l’ARLA a refusé notre demande d’entrevue. Le processus d’homologation des pesticides fait actuellement l’objet d’une révision. L’agence dit vouloir accroître l'utilisation de données réelles et de conseils indépendants [...] afin de mieux éclairer les décisions visant à protéger la santé humaine et l'environnement. Ses conclusions ne sont pas encore rendues publiques.

Le lanceur d’alerte et agronome à la retraite Louis Robert, celui à qui l’on doit en quelque sorte la tenue de la commission parlementaire sur les pesticides au Québec en 2019, pousse la réflexion plus loin.

Ce n'est pas parce qu'un produit est homologué qu'on est obligé de l'employer. J’utilise davantage l'argument de la science agronomique qui dit qu’on peut se passer de ces produits-là.

Louis Robert, agronome à la retraite

Celui qui a dénoncé l’influence du lobby des pesticides et son ingérence dans la recherche scientifique estime qu’il est possible et rentable d’utiliser les pesticides uniquement en dernier recours. Et de protéger du même coup la santé des agriculteurs.

Les techniques de contrôle des ennemis de culture qui proviennent de la recherche agronomique ne sont pas valorisées du tout. Elles continuent de s'empiler, affirme Louis Robert. C'est incroyable tout ce qu'on pourrait transférer sur les fermes qui réduirait l'usage des pesticides d'au moins 50 % à très court terme. Les entreprises, les agronomes du secteur privé ont pris le haut du pavé dans le discours commun qui place les pesticides en haut de la liste.

Mais la dépendance aux pesticides en agriculture est souvent difficile à surmonter. La pression des ravageurs et des maladies est grande. Et les producteurs craignent les baisses de rendement.

Quand vous êtes dans un système depuis longtemps, quand vous avez repris la ferme de vos parents ou que vous avez été formaté dans un système unique de production, vous avez fait des investissements et même si vous en supportez les conséquences dans votre chair, vous avez du mal à envisager autre chose comme système de production. C'est extrêmement dur de changer ça.

Pierre LeBailly, coordinateur, AGRICAN

En France, le combat du président de Phyto-Victimes, Antoine Lambert, prend aujourd’hui une tournure bien personnelle. Il révèle pour la première fois qu’il doit affronter la maladie : un cancer en lien, selon lui, avec l’exposition aux pesticides. Après avoir lutté pour la reconnaissance en maladie professionnelle, son cancer est finalement reconnu.

Serge Giard, lui, a gardé sa maladie secrète pendant cinq ans avant de briser le silence. Aujourd’hui, il invite les agriculteurs malades à se mobiliser et à prendre la parole.

Faut pas se cacher. On a travaillé à nourrir nos concitoyens, nos concitoyennes, lance Serge Giard. Faut s'exprimer ensemble, pour défendre nos droits de personnes malades.

Le reportage de France Beaudoin et de Pier Gagné est diffusé à l'émission La semaine verte le samedi à 17 h et le dimanche à 12 h 30 sur ICI TÉLÉ. À ICI RDI, ce sera le dimanche à 20 h.