Un article écrit par Frédéric Arnould

Donald Trump et le cirque de la république bananière

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Donald Trump profite de son inculpation potentielle pour solliciter ses partisans et diffuser son message de persécution politique.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
Donald Trump profite de son inculpation potentielle pour solliciter ses partisans et diffuser son message de persécution politique.

Depuis l’annonce par Donald Trump lui-même qu’il serait arrêté demain, bien des républicains le soutiennent face à cette attaque, digne, selon eux, d’une république bananière. C'est l’occasion pour l’ex-président de tester la loyauté de ses partisans et de solliciter leurs portefeuilles avant tout.

Sortie de nulle part, cette déclaration de Donald Trump sur son réseau Truth Social samedi a de quoi faire sourciller. Selon lui, des fuites illégales du bureau du procureur général de Manhattan lui auraient confirmé que son arrestation aurait lieu mardi. Une déclaration qui a même surpris ses avocats, qui, eux, n’ont reçu aucune notification sur ce plan de la part du procureur, Alvin Braggs.

Une affaire de chèque

Mais arrêté pourquoi d’abord? Rappelons que peu de temps avant l'élection présidentielle de 2016, Stormy Daniels, une actrice porno, avait reçu un paiement de 130 000 $ en échange du silence sur une allégation vieille de 10 ans d'une liaison avec Trump. Le paiement avait été fait par Michael Cohen, qui était alors l'avocat de l'homme d'affaires. La Trump Organization a ensuite remboursé Cohen avec des chèques juste avant d'être assermenté président en janvier 2017. En 2018, Cohen a plaidé coupable de crimes liés au paiement et a purgé une peine de prison.

Toute cette affaire tourne autour de la question de savoir si Trump a illégalement couvert ce paiement de 130 000 $ effectué par son ancien avocat. Dans le cas d'une réponse positive, cela pourrait représenter une violation de la loi sur le financement des campagnes électorales. En matière de défense, Trump a dit qu'il n'avait rien fait de mal et a nié avoir eu une liaison avec Daniels.

Comment a réagi Donald Trump depuis samedi? Comme il le fait souvent lorsqu’il est attaqué : il a tout fait pour discréditer les tentatives de reddition de comptes, en essayant d'intimider les procureurs, en faisant pression sur les hauts responsables du Parti républicain pour qu'ils prennent sa défense et, enfin, en mobilisant les partisans de sa base grâce à la victimisation.

Attaquer pour mieux se défendre

Premièrement, les attaques avec ces quelques échantillons publiés sur Truth Social. Notre nation est aujourd’hui un pays du tiers-monde en voie de disparition. Le rêve américain est mort!

Les anarchistes radicaux de gauche ont volé notre élection présidentielle, et avec elle, le cœur de notre pays. Les patriotes américains sont arrêtés et maintenus en captivité comme des animaux, tandis que les criminels et les voyous gauchistes sont autorisés à errer dans les rues, à tuer et à brûler, sans aucune [punition].

Donald Trump, ancien président des États-Unis, sur son réseau social Truth Social

Le tout en lettres majuscules. Déclarant que ces accusations sont infondées, l'ancien président poursuit dans la même veine : Des fuites illégales provenant d’un bureau de procureur corrompu et hautement politique de Manhattan, qui a permis d’établir de nouveaux records en matière de crimes violents et dont le chef est financé par George Soros, indiquent que, sans qu’aucun crime puisse être prouvé et sur la base d’un vieux conte de fées entièrement démenti (par de nombreux procureurs), le candidat républicain de loin le plus important et l’ancien président sera arrêté mardi. Protestez, reprenez votre nation.

Plusieurs ont comparé cet appel à manifester à celui du 6 janvier 2021, qui a précédé l'assaut sur le Capitole, à Washington.

Les républicains à la défense de l'ancien président

Deuxièmement, par ces attaques, il parvient à pousser les élus républicains à le défendre. Andy Biggs, élu de l’Arizona, tire la première salve : S’ils peuvent s’en prendre à Trump, ils s’en prendront à vous. Ce genre de chose a lieu uniquement dans les nations autoritaires du tiers-monde.

Josh Hawley, sénateur du Missouri, lui emboîte le pas : Ils veulent arrêter Trump, leur principal opposant politique. Ils sont le parti de la république bananière.

Elise Stefanik, troisième républicaine en importance à la Chambre, n’est pas en reste : C'est antiaméricain… et sachant qu'elle ne peut pas battre le président Trump aux urnes, la gauche radicale va maintenant suivre l'exemple des dictateurs socialistes et arrêter le président Trump.

Même Ron DeSantis, à qui certains prêtent le courage de défier Trump pour l'investiture républicaine présidentielle de 2024, a dû y aller d’une flèche contre Alvin Bragg, le procureur de Manhattan, l’accusant d’être à la solde de George Soros.

Appel de dons aux partisans

Troisièmement, même s’il n’a jamais cessé d’envoyer plusieurs fois par jour des courriels de requêtes de fonds à ses partisans inscrits sur ses listes, Donald Trump les assaille de demandes supplémentaires depuis ces fuites illégales de Manhattan.

Tous les liens de ces courriels mènent évidemment à son site de collecte de fonds pour sa campagne.

Une semaine historique?

Si Donald Trump était arrêté dans le cadre de cette affaire, ce serait bel et bien la première fois de l’histoire des États-Unis qu’un ancien président américain ferait face à des accusations criminelles, et ce, sans même faire mention des autres enquêtes en cours contre Trump, notamment en Georgie pour ingérence dans l’élection présidentielle de 2020, ou encore pour sa gestion des documents confidentiels à Mar-a-Lago.

La situation est cependant très compliquée, car Trump est un candidat actif pour la course à la Maison-Blanche de 2024 et il a déjà bâti sa campagne sur le thème de la persécution, en particulier sur les enquêtes au sujet de sa conduite après la dernière élection. Il a d’ailleurs promis une présidence de représailles contre ses ennemis (entendez par là les démocrates et toute personne qui s'opposerait à lui) s'il remporte à nouveau les clés de la Maison-Blanche.

Le sénateur démocrate de l'Arizona, Mark Kelly, a déclaré dimanche sur CNN que personne dans notre nation n'est ou ne devrait être au-dessus de la loi.

J'espère que, s'ils lancent des accusations, ils auront un cas solide, parce que c'est sans précédent. Et il y a certainement des risques encourus ici.

Mark Kelly, sénateur démocrate de l'Arizona

La poursuite joue en effet gros dans cette affaire, surtout avec les menaces de protestations que Trump veut déclencher.

Un président menotté?

Si Donald Trump était inculpé, ses avocats pourraient chercher à obtenir des arrangements spéciaux, étant donné qu'il est un ancien président, pour éviter de passer par l'entrée principale du palais de justice ou du commissariat de police afin d'être plus discrets.

Joe Tacopina, avocat de M. Trump, a déclaré qu'en cas d'inculpation ce dernier ne résisterait pas à l'arrestation et qu'ils suivraient les procédures normales. Il n'y aura pas d'affrontement à Mar-a-Lago avec les services secrets et le bureau du procureur de Manhattan, a-t-il dit.

S'il était inculpé, Donald Trump serait incarcéré et on prendrait ses empreintes digitales ainsi qu’une photo d’identité (le fameux mugshot). Toutefois, compte tenu du statut de Trump et de sa campagne présidentielle de 2024, le juge ne considérerait probablement pas qu'il risque de s'enfuir et le remettrait immédiatement en liberté moyennant une caution.

Gagner la présidence malgré tout?

Même dans le cas d’accusation, d'arrestation ou de condamnation de Donald Trump, et nous sommes encore loin de cela surtout dans le troisième cas de figure, celui-ci pourrait continuer sa campagne et même, pourquoi pas, si les Américains le décident, redevenir président s’il gagne les élections de 2024.

En effet, les conditions pour devenir président sont plutôt simples : être un citoyen américain de naissance, être âgé d'au moins 35 ans et résider en permanence aux États-Unis depuis au moins 14 ans. C’est tout…

D’ailleurs, pour la petite histoire, Eugene V. Debs était incarcéré dans un pénitencier d'Atlanta, où il purgeait une peine de dix ans, lorsqu'il a perdu les élections présidentielles de 1920. La défaite de 1920 n'a pas été une surprise pour Debs, qui s'était déjà présenté quatre fois. Sa cinquième et dernière candidature, promue par un macaron de campagne portant la mention For President Convict No. 9653 (pour le président condamné numéro 9653), lui a permis d'obtenir près d'un million de voix.

Sachez que, parmi les partisans purs et durs de Trump, certains estiment que des actes d’accusations criminelles seront une prime pour sa campagne présidentielle face au candidat démocrate, car ils se rallieront tous derrière le drapeau de Trump 2024.

Rien de très surprenant sachant que sa base, même si elle est moins nombreuse que par le passé, continue d’avoir la foi dans son candidat providentiel à qui elle pardonne tout. L’ex-président en est conscient.

C'est d'ailleurs lui qui a déclaré en Iowa en janvier 2016 : Je pourrais me tenir au milieu de la 5e Avenue et tirer sur quelqu'un, et je ne perdrais aucun électeur, d'accord? C'est incroyable.