Un article écrit par Réal Fradette

Pénurie de procureurs : vers l’abandon de poursuites

Justice et faits divers > Procès et poursuites

Miramichi est l'une des régions les plus affectées par le manque de procureurs de la Couronne au Nouveau-Brunswick.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
Miramichi est l'une des régions les plus affectées par le manque de procureurs de la Couronne au Nouveau-Brunswick.

Les procureurs de la Couronne craignent le pire devant la crise qui ralentit le fonctionnement du système de justice pénale au Nouveau-Brunswick. Des appels à l’aide ont été lancés depuis deux semaines.

Pénurie de main-d'œuvre, difficultés de rétention, départs à la retraite, postes vacants, services réduits, embauche d’avocats remplaçants rémunérés le double de ce que reçoit un procureur local : tous ces points mettent une pression indue sur un système fortement fragilisé, selon une note de service datée du 15 mars et signée par Brian Munn, sous-procureur général adjoint.

Cette note sur la capacité d’engager des poursuites et sur le fait que le statu quo ne fonctionne plus a été distribuée à tous les membres du Service des poursuites publiques.

Même si l’abandon d’une poursuite ne doit se faire qu’en dernier recours et qu’à l’occasion, nous sommes bien conscients que cette situation se présentera. Une telle décision peut être difficile à prendre et ne pas faire l’unanimité, avertit Brian Munn, en faisant notamment référence à l’arrêt Jordan sur les délais raisonnables entre le dépôt d’accusations et un procès.

Ensuite, dans une lettre d’opinion aux lecteurs, Jennifer Carr, présidente de l’Institut professionnel de la fonction publique au Canada, le syndicat qui représente les procureurs de la Couronne au N.-B., soutient qu’un plus grand nombre d'accusations seront abandonnées, alors que dans des circonstances normales, elles devraient être l’objet de poursuites.

Une situation inquiétante depuis un moment

Me Yves Duguay, vice-président de l’Association des procureurs de la Couronne du Nouveau-Brunswick et procureur à Bathurst, avoue que ça fait un moment que la situation est inquiétante.

Ce qui se produit quand l'auteur d'un crime n’est pas poursuivi, c’est que la confiance dans l’administration de la justice se dégrade. L’ordre public est aussi affecté. Cela a un effet sur la sécurité publique dans son ensemble. Lorsque les procureurs affrontent des obstacles dans leur travail, ça affecte la sécurité des communautés et des individus, raconte-t-il dans une entrevue accordée à l’émission La matinale, mardi.

La note de service de Brian Munn lance aussi un appel à la priorisation des ressources sur des crimes sérieux.

Nous avons actuellement 28 individus accusés de meurtre au Nouveau-Brunswick. C’est du jamais vu. Mais avec la pénurie chronique de procureurs, nous ne sommes pas capables de travailler sur tous ces dossiers. Nous travaillons sans relâche, mais c’est impossible de tout faire.

Me Yves Duguay, vice-président de l'Association des procureurs de la Couronne du N.-B.

Selon ses propos, et malgré le récent engagement du gouvernement d’embaucher 30 nouveaux procureurs, il y a encore une vingtaine de postes vacants et, à certains endroits, le manque d’effectif atteint 50 %.

Les procureurs de la Couronne sont résilients, mais il y a des limites. Avec ce qu’on expérimente actuellement, on accueille très favorablement la note de Brian Munn, reprend le procureur de Bathurst, qui précise que les régions les plus touchées sont Moncton, Miramichi et Fredericton.

Une préoccupation grave, mais pas nouvelle

Allan Dearing, porte-parole aux communications du ministère de la Justice, a indiqué que la directive diffusée par le directeur des poursuites publiques porte sur une préoccupation qui est grave, mais qui n’est pas nouvelle.

Il ajoute que la Cour suprême du Canada a fixé des délais maximums tolérables (l’arrêt Jordan) avant qu'un juge doive prendre la décision radicale de suspendre l'inculpation en raison d'un retard excessif.

Heureusement, presque toutes les affaires au Nouveau-Brunswick sont jugées sur le fond, plutôt que suspendues en raison d'un retard. Dans la province, moins du quart de 1 % des accusations sont suspendues, a-t-il déclaré.

Le porte-parole du ministère mentionne que le gouvernement fait sa part pour éviter de perdre une affaire en raison d'un retard en augmentant de 50 % le nombre de postes de procureur de la Couronne.

Le gouvernement ne veut pas perdre d'affaires pour cause de retard et, reconnaissant les défis auxquels les poursuites publiques font face avec la main-d’œuvre, la directive a été envoyée pour que les procureurs de la Couronne veillent à ce que les crimes graves et violents soient la priorité absolue, indique-t-on au ministère.

Avec des informations de l'émission La matinale d'ICI Acadie