Un article écrit par Radio-Canada

Ottawa diffuse des publicités sur TikTok malgré son interdiction à ses fonctionnaires

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Une publicité faisant la promotion d'une campagne de recrutement au sein des Forces armées canadiennes, diffusée sur TikTok entre le 27 février et le 19 mars 2023.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
Une publicité faisant la promotion d'une campagne de recrutement au sein des Forces armées canadiennes, diffusée sur TikTok entre le 27 février et le 19 mars 2023.

Des experts estiment que le gouvernement fédéral est en train d’envoyer un message contradictoire à la population.

Le gouvernement fédéral diffuse toujours des messages publicitaires sur le réseau social chinois TikTok, bien qu’il ait interdit l’installation et l’utilisation de l’application sur tous les appareils gouvernementaux il y a moins d’un mois, en raison de craintes liées à la sécurité.

Le Bureau du Conseil privé a confirmé cette information à CBC News. Il a affirmé qu’Ottawa mène plusieurs campagnes publicitaires financées par les contribuables sur la plateforme qui est très populaire auprès des jeunes.

Ces messages publicitaires gouvernementaux font notamment la promotion de sujets en lien avec la sécurité publique, le recrutement des forces armées et la désinformation en ligne, a précisé le Bureau du Conseil privé dans un courriel.

Selon le porte-parole du Conseil privé, Stéphane Shank, ces campagnes publicitaires ne posent aucun risque sécuritaire pour le gouvernement étant donné qu’elles sont diffusées sur TikTok par une agence de publicité tierce.

« Deux poids, deux mesures »

Mais certains experts en technologie estiment qu'Ottawa est en train d’envoyer un message contradictoire à la population, et ils appellent le gouvernement à suspendre la diffusion de ces publicités sur l'application.

Il me semble qu’il y a un deux poids, deux mesures, en disant que [l’application] est trop risquée pour nos fonctionnaires mais appropriée pour rejoindre les adolescents.

Brett Caraway, professeur agrégé de l’Université de Toronto

Lorsque le gouvernement a annoncé l’interdiction de l’application sur les appareils téléphoniques de ses fonctionnaires, le 27 février dernier, le premier ministre Justin Trudeau avait laissé entendre que les entreprises, aussi bien que les particuliers, pourraient s'inspirer à leur tour de la nouvelle restriction fédérale.

Cependant, les campagnes publicitaires du fédéral qui sont diffusées sur TikTok laissent croire qu’Ottawa approuve implicitement l’utilisation de l’application qui est détenue par le géant chinois ByteDance, a indiqué Vass Bednar, directrice du programme de maîtrise en politique publique dans la société numérique de l'Université McMaster.

Je ne pense pas que ce soit une bonne façon d’utiliser l’argent des contribuables si on est sérieux dans notre décision concernant cette application, a-t-elle dit.

Il faut choisir quelle direction on veut prendre.

Vass Bednar, directrice de programme à l'Université McMaster

Mais selon M. Shank, c’est aux Canadiens de choisir s’ils souhaitent continuer d’utiliser TikTok ou pas.

Les provinces et les publicités sur TikTok

En 2022, le gouvernement fédéral a dépensé 1,7 million $ en publicité sur cette plateforme controversée. Un chiffre plus important que la somme de 1,6 million $ dépensée pour des publicités sur LinkedIn, mais bien inférieur aux 11,4 millions $ versés sur Facebook et Instagram.

À l’instar d'autres réseaux de médias sociaux, TikTok collecte les informations personnelles de ses utilisateurs et surveille l’usage fait par ces derniers de son service.

TikTok a reconnu en novembre que certains employés en Chine pouvaient accéder aux données des utilisateurs et a admis en décembre que des employés avaient utilisé ces données pour traquer des journalistes. Mais le groupe nie farouchement tout contrôle ou accès du gouvernement chinois à ses données.

Outre le Canada, les États-Unis, la Commission européenne et le Royaume-Uni ont également interdit TikTok sur les appareils de fonction.

Quant aux provinces canadiennes, toutes ont suivi le pas du gouvernement fédéral. L'Ontario, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et le Québec ont toutefois déclaré à CBC avoir cessé de faire de la publicité sur TikTok.

Terre-Neuve-et-Labrador, l'Île-du-Prince-Édouard, le Manitoba et l'Alberta ont affirmé ne pas envisager actuellement de diffuser des publicités sur l'application.

La Saskatchewan et la Colombie-Britannique ont indiqué qu'elles diffusaient toujours des messages publicitaires sur la plateforme, mais Regina a déclaré avoir suspendu le travail sur ses futures campagnes publicitaires.

Une enquête toujours en cours

Le mois dernier, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada a lancé une enquête fédérale et provinciale conjointe sur TikTok concernant la collecte, l'utilisation et la divulgation de données personnelles par la plateforme qui pourraient ne pas être conformes à la loi canadienne sur la protection de la vie privée.

Le Commissariat à la protection de la vie privée a toutefois refusé de commenter les campagnes publicitaires TikTok du gouvernement fédéral, car l'enquête est toujours en cours.

La semaine dernière, le gouvernement américain a exigé que ByteDance, la maison mère de TikTok, vende l'application, faute de quoi elle risque d'être interdite aux États-Unis. Ottawa n'a de son côté pas dit si une interdiction à l'échelle nationale était envisagée.

Le PDG de TikTok, Shou Zi Chew, doit par ailleurs témoigner jeudi devant le Congrès américain pour répondre aux préoccupations concernant la sûreté et la sécurité de l'application.

Avec les informations de Sophia Harris, de CBC