Un article écrit par Sandrine Côté

Québec pressé d’en faire plus contre les violences sexuelles dans les écoles

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Bernard Drainville a déclenché une enquête à portée générale à la suite de nombreuses dénonciations de cas d'inconduite sexuelle dans les écoles.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
Bernard Drainville a déclenché une enquête à portée générale à la suite de nombreuses dénonciations de cas d'inconduite sexuelle dans les écoles.

Au lendemain du déclenchement d’une enquête générale sur les violences sexuelles dans les écoles du Québec, l‘opposition et le milieu communautaire réclament à nouveau l'adoption d'une loi-cadre pour lutter contre ce problème.

Le ministre de l'Éducation, Bernard Drainville, a déclenché cette enquête à portée générale à la suite de nombreuses dénonciations et d'allégations de cas d'inconduite de nature sexuelle ou de comportements inadéquats dans le réseau scolaire.

Cette annonce, survenue mardi, fait suite à des accusations d'exploitation sexuelle contre Alexandre Gagné, un enseignant d’économie au Collège Stanislas. Il aurait fait sept jeunes victimes entre 2019 et 2022.

Le déclenchement de cette enquête est un bon premier pas pour prévenir les violences sexuelles en milieu scolaire, juge Kévin Roy, président de la Fédération des comités de parents du Québec. Mais l’organisme attend des actions concrètes de la part du gouvernement pour enrayer ce problème, indique-t-il en entrevue à Tout un matin, sur ICI Première.

Même son de cloche du côté de La voix des jeunes compte, un collectif qui lutte contre les violences sexuelles. Depuis 2018, ce regroupement réclame une loi-cadre qui protégerait les victimes dans les établissements préscolaires, primaires et secondaires. Depuis 2017, une telle loi encadre déjà les cégeps et les universités.

La députée de Québec solidaire et porte-parole du parti en matière d’éducation, Ruba Ghazal, appuie cette proposition du collectif.

Les agressions sexuelles dans nos écoles sont intolérables. Une enquête était rendue nécessaire. Le #moiaussiscolaire appelle à un changement de mentalités profond dans nos écoles. La prévention passera par une loi-cadre.

Ruba Ghazal, députée de Québec solidaire, sur Twitter

Aucun protocole

À l’heure actuelle, rien n’est mis en place en termes de prévention des violences sexuelles et il n’y a pas de protocole adéquat à l'échelle du Québec pour gérer ces cas [de dénonciations], déplore Alexandra Dupuy, coordonnatrice de La voix des jeunes compte. Une loi-cadre permettrait d'instaurer une procédure de gestion des dénonciations uniforme dans toutes les écoles du Québec, explique-t-elle.

Selon Kévin Roy, cette politique-cadre inclurait une personne responsable d'accueillir les dénonciations d'étudiants dans chaque école. On veut aussi qu’il y ait des services de soutien psychosocial pour les victimes et les agresseurs à même les écoles. Il n’y a aucun service offert pour les agresseurs. Ce qu’on fait, c’est qu’on les change de classe ou d’école, ce qui leur permet de récidiver, dénonce Mme Dupuy.

À ce jour, il n’y a pas de manière de rendre [responsables] ces établissements scolaires et ces centres de services scolaires qui ne font rien lorsqu’on leur signale des violences sexuelles, ajoute-t-elle.

Cette semaine, la direction d'une école secondaire de Cowansville a été pointée du doigt pour son inaction face aux violences sexuelles. Des parents et des élèves estiment que l’établissement n’en a pas fait assez pour protéger six élèves qui affirment avoir été la cible de gestes répréhensibles répétés de la part d'un garçon qui fréquente la Massey Vanier High School.

On trouve ça triste que ça prenne des dénonciations publiques pour que les institutions agissent. Les personnes qui dénoncent vivent très souvent des représailles. Quand c’est un adolescent qui dénonce, c’est excessivement difficile de vivre de l'intimidation constante.

Alexandra Dupuy, coordonnatrice de « La voix des jeunes compte »

Protecteur de l’élève

Devant ces pressions pour adopter une loi-cadre, Bernard Dainville répond que des protecteurs régionaux des élèves vont entrer en fonction à partir de la rentrée scolaire 2023 et qu'ils pourront se saisir prioritairement des cas de violence sexuelle dans les écoles.

Adopté en juin 2022, le projet de loi 9 sur le protecteur national de l’élève prévoit la création d’un organisme autonome, externe au réseau scolaire, sous la gouverne d’un protecteur national. Son bureau chapeautera des protecteurs régionaux responsables d'examiner les plaintes.

Pour Alexandra Dupuy, le protecteur de l'élève n'est pas suffisant pour répondre adéquatement au problème des violences sexuelles en milieu scolaire. Le protecteur de l’élève, dès qu’il recevra une dénonciation, devra faire un signalement à la DPJ et la police va débarquer à l’école. Pourtant, un adolescent qui parle d’une agression sexuelle vécue, ce n’est pas nécessairement son objectif de porter plainte à la police et que ça aille en cour, fait valoir Mme Dupuy. En les forçant à porter plainte, on risque de traumatiser les jeunes, plaide-t-elle.

Une loi-cadre serait même complémentaire au travail du protecteur national de l'élève, que j'ai rencontré récemment. Il m'a dit que [le fait] d'avoir une loi-cadre, ça pourrait même l'aider dans son travail. C'est complémentaire, ce n'est pas en contradiction, soutient Ruba Ghazal.

Problème généralisé

D’après des données du Centre canadien de protection de l'enfance publiées en 2022, 548 victimes présumées se sont manifestées pour signaler des abus sexuels dans les écoles entre 2017 et 2021.

Pas moins de 252 membres actuels ou anciens du personnel scolaire — travaillant dans des écoles primaires et secondaires canadiennes — ont commis ou ont été accusés de commettre des infractions de nature sexuelle contre au moins 548 présumées victimes.

548 à l’échelle du Canada, c’est déjà un très gros chiffre alarmant. Mais ce chiffre-là est évidemment en deçà de la réalité , note René Morin, porte-parole du Centre canadien de la protection de l'enfant.

Alexandra Dupuy rappelle que les violences sexuelles en milieu scolaire ne sont pas des cas isolés mais bien une problématique généralisée. Tout le monde est au courant des violences sexuelles dans les écoles; seulement, maintenant, c’est médiatisé. Avant, on n’en parlait pas, parce que les violences sexuelles chez les jeunes étaient taboues.