Un article écrit par Radio-Canada

Des experts déplorent la méfiance envers la santé publique exacerbée par la pandémie

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La désinformation sur la COVID-19 et la confusion dans certains messages publics ont entraîné certaines pertes de confiance envers les autorités de santé publique.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
La désinformation sur la COVID-19 et la confusion dans certains messages publics ont entraîné certaines pertes de confiance envers les autorités de santé publique.

Une fois que la pandémie de COVID-19 sera réellement derrière nous, il restera des leçons apprises, mais aussi des plaies à panser par les autorités de santé publique. Parmi les cicatrices qui pourraient mettre du temps à s'effacer, il y a cette méfiance qui se répand et qui pourrait avoir de graves conséquences à long terme.

À l'occasion des Journées annuelles de la santé publique, des experts ont procédé à une prise de conscience de cette réalité dans le but d'y faire face. Au banc des accusés figure notamment la désinformation qui s'est propagée sur la planète plus rapidement que le virus. Ce phénomène a même été qualifié d'infodémie par l'Organisation mondiale de la santé.

Parmi les effets néfastes observés au cours de la crise sanitaire, il y a cette méfiance grandissante à l'égard des vaccins. L'hésitation vaccinale, qui existait avant la pandémie, a pris une tout autre ampleur au fil de la campagne de vaccination contre le virus du SRAS-CoV-2 et des doses de rappel qui ont suivi.

Lors d'une conférence tenue jeudi matin, la conseillère scientifique spécialisée en immunisation à l'Institut national de santé publique du Québec Ève Dubé a décrit l'hésitation vaccinale comme un grave problème de santé publique.

Il faut bien distinguer ici l'hésitation vaccinale du refus de la vaccination, ou encore de l'activisme antivaccin. Ces résistants convaincus ne correspondent qu'à une minorité de la population, indiquent les recherches de Mme Dubé, mais les personnes hésitantes qui se font tirer l'oreille ou qui tardent à aller chercher leur dose seraient de plus en plus nombreuses.

Aux yeux du Dr Paul Le Guerrier, qui animait la séance, cette relative méfiance n'a rien de temporaire. Je crois que l'hésitation vaccinale est là pour rester, a lancé celui qui est responsable médical des équipes d'immunisation et de vaccination contre la COVID-19 à la Direction de santé publique du CIUSSS du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal.

Perte de confiance et problèmes de communication

Outre la déferlante de désinformation malveillante et d'informations trompeuses qui circulent sur Internet et les réseaux sociaux, plusieurs autres facteurs ont collaboré à l'érosion de la confiance générale à l'égard des institutions de santé.

D'abord, bien des communautés ont déjà une profonde méfiance envers tout ce qui représente l'autorité, que ce soit l'État, les forces de l'ordre ou les institutions de santé. C'est notamment le cas des groupes qui ont été victimes de discrimination ou de traumas liés à la colonisation.

Du côté des facteurs directement liés à la gestion de la pandémie, la confusion dans certains messages publics aurait rendu perplexe une partie de la population, par exemple en ce qui a trait au port du masque. C'est ce qu'a reconnu la conseillère en communication au ministère de la Santé et des Services sociaux Viviane St-Gelais, dans une présentation mercredi après-midi.

On aurait dû mieux préparer le public au fait que les recommandations pouvaient changer rapidement d'un jour à l'autre selon l'évolution des connaissances.

Viviane St-Gelais, conseillère en communication au ministère de la Santé et des Services sociaux

En début de pandémie, la santé publique avait complètement rejeté l'idée de demander aux gens de porter un masque. Puis, cette mesure est plus tard devenue obligatoire. Selon Mme St-Gelais, Québec aurait dû prévoir l'éventualité d'un changement et nuancer son message.

Une illusion de fin de pandémie

Un autre aspect qui a nui au lien de confiance est le sentiment de trahison qu'auraient éprouvé des gens après l'arrivée du vaccin. Alors qu'on promettait la fin de la crise sanitaire dès l'arrivée du vaccin, la vague du variant Omicron est venue frapper durement le système de santé et forcer l'imposition de nouvelles mesures restrictives. On a aussi réalisé que le vaccin n'empêchait pas de contracter la maladie, mais limitait les risques de graves complications.

Aux dires de la chercheuse Ève Dubé, des gens se sont sentis floués par le discours de fin de pandémie qui accompagnait le départ de la campagne de vaccination. Ainsi, de nombreuses personnes favorables aux vaccins ont commencé à concevoir de l'hésitation.

Puis, au fil des doses et des rappels, une lassitude a gagné une autre part de personnes favorables aux vaccins. On a ainsi fait grossir les rangs des hésitants.

On craint maintenant que cette hésitation, qui toucherait environ 14 % de Québécois, vienne saper le travail de longue haleine à l'égard des autres vaccins de routine administrés aux enfants et aux adolescents. Des craintes d'autant plus sérieuses que les 34 ans et moins seraient les plus hésitants, d'après les données de Mme Dubé.

Pistes de solutions

La plupart des intervenants s'entendent sur le fait que la solution passe d'abord par le long terme. Selon le journaliste spécialisé en sciences au journal Le Soleil Jean-François Cliche, le meilleur remède à la désinformation demeure la bonne information. Cela implique toutefois de présenter une information complète et surtout pas simpliste.

La complexité, la nuance, ça s'explique, soutient-il en jetant une part du blâme sur les médias qui font parfois dans le sensationnalisme en ne montrant que les scénarios catastrophes tirés d'études pourtant aucunement alarmistes.

D'autres chercheurs, comme le professeur Arnaud Gagneur, de la Faculté de médecine de l'Université de Sherbrooke, préconisent une approche personnalisée. Bien qu'une telle démarche individualisée paraisse contre-intuitive dans un contexte de médecine populationnelle, le professeur Gagneur s'est inspiré de l'approche motivationnelle, qui permet d'écouter les préoccupations d'une personne réfractaire pour ensuite l'aider à résoudre elle-même son problème.

Son projet de recherche fait maintenant l'objet d'un élargissement à tout le Québec sous le programme EMMIE (Entretien motivationnel en maternité pour l’immunisation des enfants). Ce programme s'adresse aux nouveaux parents dans les unités de maternité des centres hospitaliers. On prend le temps d'échanger avec eux sur tout ce qui touche la vaccination des enfants.

Jusqu'ici, les résultats montrent un gain important dans la couverture vaccinale des enfants et surtout un effet durable sur la perception que gardent les parents des bienfaits de la vaccination.