Un article écrit par Shanelle Guérin

Santé mentale et réseaux sociaux : gare aux préjugés

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Des signes de détresse psychologique peuvent se manifester sur les réseaux sociaux, mais il faut se méfier des préjugés, selon les experts. (Photo d'archives)Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
Des signes de détresse psychologique peuvent se manifester sur les réseaux sociaux, mais il faut se méfier des préjugés, selon les experts. (Photo d'archives)

Les attaques meurtrières soulèvent des questions sur les signes de détresse psychologique exprimés sur les réseaux sociaux. Dans la foulée de la tragédie, survenue la semaine dernière, à Amqui, bon nombre de spéculations ont circulé sur l’état de santé psychologique du présumé conducteur de la camionnette sur la toile médiatique.

Des propos de l'homme concernant des cartels de drogue, de politiciens et de syndicat dans des vidéos publiées sur sa plateforme numérique TikTok avant l'attaque par camion-bélier ont circulé dans certains médias. Des internautes ont rapidement mis en doute la santé mentale de l'individu.

Or, pour la professeure Ghayda Hassan, du département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et titulaire de la chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent, il en faut plus pour présumer de l’état de santé mentale d’une personne.

C’est clair que ce n’est pas en regardant une vidéo, à moins qu’il y ait une déclaration tellement claire et évidente, qu’on va jouer aux détectives, juste parce que la personne a émis une ou deux vidéos dans lesquelles elle semblait avoir des opinions particulières ou avoir des problématiques au niveau de la santé mentale, affirme-t-elle.

En plus de stigmatiser les personnes aux prises de troubles diagnostiqués, ces suppositions peuvent servir d’accélérateur pour des actes violents, soutient même la psychiatre Cécile Rousseau, professeure au département de psychiatrie de l’Université McGill et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en prévention de la radicalisation violente.

Si on essaie de savoir qui est dangereux dans une communauté, on va cibler des individus à partir de nos préjugés sociaux […]. Et ça, ça va amener plus de ressentiment et plus de colère, fait valoir Dre Rousseau.

Elle souligne que ces spéculations isolent encore plus des personnes possiblement déjà solitaires.

La psychiatre affirme d’ailleurs que les personnes diagnostiquées d’un trouble de santé mentale ne représentent qu’une faible proportion des auteurs de tuerie de masse.

C’est un peu compliqué de détecter parfois des signes de détresse ou de détérioration de l’état mental [sur les réseaux sociaux], renchérit pour sa part le président de l’Association des psychologues du Québec, Gaëtan Roussy.

Par exemple, des discours conspirationnistes. Le problème, c’est que c’est au goût du jour. À quel moment un discours conspirationniste peut-il virer vraiment à ce qu’on appelle de la paranoïa ou à une perte de contact avec la réalité?, souligne-t-il.

Selon les spécialistes, avant qu'une personne passe à l’acte, plusieurs facteurs doivent s’arrimer les uns avec les autres, dont une détresse psychologique ou sociale et la capacité de poser un acte violent.

Il faut faire attention pour ne pas faire d’amalgame et de s’imaginer que les gens qui ont une maladie mentale sont des agresseurs.

Gaëtan Roussy, président de l’Association des psychologues du Québec

Le contenu publié sur les réseaux sociaux peut toutefois laisser des indices sur l’état de la santé mentale d’une personne. Les réseaux sociaux sont devenus aujourd’hui un peu le reflet de notre vie, de nos états d’âme, commente la professeure Hassan.

Des signes de détresse perceptibles

Selon le psychologue Gaëtan Roussy, il faut tout de même demeurer attentif aux changements de comportement de la personne tant sur les réseaux sociaux que dans les interactions de vive voix.

Des symptômes dépressifs ou d’agitation, un discours incohérent ou désorganisé peuvent se manifester chez quelqu’un qui souffre psychologiquement, explique-t-il. Des gens plus difficiles à joindre, même par ses proches. Une personne obsédée par un discours conspirationniste, par exemple, dit le président de l'Association des psychologues du Québec.

Quand une personne entretient un discours conspirationniste absolutiste qui n’offre aucune possibilité de remise en question, aucune possibilité de dialogue, ça peut être un signe préoccupant, surtout quand on sent une grande tension, comme une accumulation d’une charge agressive. Ça peut être parfois signe qu’il peut se produire quelque chose de grave, commente M. Roussy.

Ghayda Hassan croit par ailleurs que les proches des personnes souffrantes sont bien placés pour remarquer et signaler des comportements problématiques.

Le problème, c’est que souvent, les personnes dans l’entourage qui savent, ne signalent pas, avise Mme Hassan, de l’UQAM.

Les experts observent que les proches ont parfois tendance à ne pas signaler des comportements par crainte de répercussions négatives ou parce qu’elles ignorent carrément où trouver de l’aide.

Il y a plusieurs personnes qui craignent si on téléphone à des services, la personne en difficulté va se faire enfermer, arrêter, et ce n’est pas le cas normalement, poursuit M. Roussy. Quand on téléphone à des services, c’est pour avoir des conseils, des recommandations.

Vous avez besoin d'aide?

Vous vous sentez en détresse ou vous vous inquiétez pour un proche? Des services téléphoniques sont offerts gratuitement au Canada.

Pour joindre un professionnel de la santé mentale de l'Espace mieux-être Canada :

  • Composez le 1 888 668-6810 ou textez le mot MIEUX au 686868, pour les jeunes.
  • Composez le 1 866 585-0445 ou textez le mot MIEUX au 741741, pour les adultes.

Les réseaux sociaux, catalyseur de la violence?

Les plateformes numériques à vocation sociale peuvent-elles jouer un rôle et amener quelqu'un à commettre l’irréparable?

Il n’y a pas d’étude qui vous dit clairement qu’il y a un lien de causalité entre l’exposition en ligne à des contenus qui poussent à l’agir violent et l’agir violent lui-même, répond la professeure au département de psychologie à l’UQAM, Ghayda Hassan. Ceci dit, il y a suffisamment d’études qui vont nous indiquer que les réseaux sociaux ont joué un rôle catalyseur.

Les personnes qui jonglent avec des idées meurtrières peuvent être nourries par les réseaux sociaux, selon elle. Les réseaux sociaux peuvent mettre de l’huile sur le feu et pousser à convaincre quelqu’un d’agir violemment, affirme la psychologue.

La médiatisation des attaques meurtrières peut même encourager certaines personnes à passer à l’acte. Les personnes peuvent aller chercher tout plein d’idées. Ces idées peuvent confirmer leur façon de penser, révèle Mme Hassan.

La couverture médiatique, si elle est sensationnaliste, elle va créer un sentiment de peur, d’anxiété généralisé chez la population, elle peut créer des réponses traumatiques chez plusieurs personnes. Si on emploie un vocabulaire qui démonise ou glorifie, on rend l’acte très attirant et on peut augmenter le risque, explique-t-elle.

Dans les attaques violentes, il y a un risque d’imitation lorsqu’elle est médiatisée, c’est tout à fait clair.

Ghayda Hassan, professeure au département de psychologie à l’UQAM

La titulaire de la chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent observe par ailleurs une montée de la violence depuis quelques années.

La pandémie de COVID-19 est un des facteurs aggravants de la détérioration de la santé mentale de certaines personnes. De par le phénomène de la mondialisation, la professeure observe qu’il est plus facile d’être en contact avec des injustices et des crises, qu’elles soient culturelles, économiques, financières, politiques, sociales.

Ce sentiment de vivre avec des injustices augmente la détresse, explique la psychologue et professeure à l’UQAM. À cela s’ajoutent les multiples exemples d’acte violent documentés sur la toile médiatique. C’est une forme de détresse sociale qui vient s’articuler avec une détresse psychologique, à laquelle la possibilité de la solution de violence devient attachée, explique-t-elle.

Et pourquoi cette violence devient-elle davantage considérée comme une issue à nos problèmes? C’est parce que je pense qu’il y a une normalisation accrue de la violence, notamment par les réseaux sociaux, conclut Ghayda Hassan.