Un article écrit par Louis Gagné

Québec ignore si la certification des appareils de chauffage au bois est fiable

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Le gouvernement du Québec n’est pas en mesure de dire si les appareils de chauffage au bois portant la certification EPA émettent aussi peu de particules fines que le prétendent les fabricants.

Les poêles et foyers à combustible solide fabriqués, vendus, offerts en vente ou distribués au Québec doivent détenir la certification de l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis (EPA) ou de l’Association canadienne de normalisation (CSA).

Cette obligation vise à s’assurer que les appareils mis en vente sur le marché n’émettent pas au-delà d’une certaine quantité de particules fines (PM2,5). En 2020, la norme EPA pour les produits de chauffage au bois est passée de 4,5 à 2,5 grammes par heure (g/h).

À la suite de ce resserrement, la CSA a elle aussi abaissé sa norme à 2,5 g/h. C’est dire toute l’influence qu’exerce la procédure d’homologation de l’EPA sur l’industrie du chauffage au bois au Québec et au Canada.

Fiabilité mise en doute

La fiabilité de la norme américaine est toutefois remise en question. Dans un rapport publié l’an dernier, le Bureau du vérificateur général de l’EPA a identifié des failles dans les méthodes de tests qu’utilise l’agence pour certifier les appareils de chauffage au bois.

L’enquête a également relevé que l’EPA ne disposait pas de mécanisme de contrôle lui permettant de valider la qualité des tests de certification effectués par les fabricants de poêles et foyers.

Aucun des sept appareils testés par un laboratoire indépendant dans le cadre de l’enquête ne respectait la limite d’émission de particules fines de 2,5 g/h. La plupart affichaient un taux d’émission situé entre 5 et 15 g/h. Pourtant, ces appareils détenaient tous la certification EPA.

Santé à risque

Selon le vérificateur général, le programme d’homologation EPA ne permet pas de garantir que les appareils de chauffage au bois vendus sur le marché respectent les normes d’émissions de particules fines.

Le programme inefficace de l’EPA [...] a exposé la santé humaine et l’environnement à la dangerosité des particules fines en autorisant la vente d’appareils pouvant ne pas respecter les normes d’émissions [traduction libre].

Extrait du rapport

Le vérificateur général avance que les millions de dollars investis dans les programmes de remplacement des appareils de chauffage au bois ont pu servir à financer l’achat de poêles et foyers qui n’émettent pas significativement moins de PM2,5 que les vieux modèles.

Dix États américains ayant financé de tels programmes ont d’ailleurs intenté une poursuite contre l’EPA. N’ayant plus confiance en sa procédure d’homologation, certains, dont l’Alaska, ont même commencé à développer leurs propres normes et listes d’appareils de chauffage au bois autorisés pour la vente.

Qu’en est-il au Québec?

À la lumière des lacunes soulevées par le Bureau du vérificateur général, les consommateurs québécois peuvent-ils réellement se fier aux taux d’émission affichés des appareils de chauffage au bois portant la certification EPA?

Le ministère de l'Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP), qui a pris connaissance des conclusions et recommandations du rapport sur la norme EPA à l’automne 2023, avoue ne pas pouvoir répondre à cette question dans l’état actuel des connaissances.

Pour l’instant, le Ministère ne peut se prononcer sur la validité de la procédure de certification des appareils de combustion EPA ou sur la garantie du respect des limites d’émission des appareils certifiés, écrit-il dans un courriel à Radio-Canada.

Le Ministère procède actuellement à une analyse critique de la réponse qu’a fournie l’EPA au rapport du vérificateur général. Il étudie également les actions correctives annoncées par l’agence américaine. Au terme de cet exercice, le MELCCFP déterminera s'il y a matière à changement ou non pour le Québec.

Technologies plus performantes

Même s’il n’a pas terminé l’analyse détaillée du rapport, le Ministère estime que le Règlement sur les appareils de chauffage au bois (RACB), celui qui impose la certification EPA ou CSA, demeure pertinent.

Le RACB permet de limiter l’impact sur la santé et l’environnement puisque les appareils conformes aux exigences du RACB utilisent des technologies plus performantes que les appareils non conformes.

Extrait d’un courriel du MELCCFP envoyé à Radio-Canada

La Ville de Québec, l’une des rares municipalités québécoises à réglementer les poêles et foyers au bois sur son territoire, reste elle aussi convaincue que l’imposition des normes EPA et CSA contribue à réduire la quantité de particules fines émises dans l’atmosphère par ces appareils.

Les normes et certifications ne sont pas toujours parfaites et sont régulièrement améliorées. Pour preuve, cette certification de l’EPA concernant les poêles à bois en est à sa troisième version actuellement. En général, un produit normé est préférable à un produit qui ne répond à aucune norme, nous a répondu la Ville par écrit.

Cette analyse, assimilable à un audit de performance, permettra à l’EPA d’établir des pistes d’amélioration et des contrôles qui permettront, à terme, d’améliorer [ses] processus.

Extrait d’un courriel de la Ville de Québec envoyé à Radio-Canada

Citant l’étude Mon environnement, ma santé, la Municipalité mentionne que même une petite réduction des concentrations de particules fines aurait des bénéfices sur la santé.

La Ville de Québec et le MELCCFP ont décliné les demandes d’entrevue de Radio-Canada.

Processus dysfonctionnel

Familles pour l'air pur (FAP), un organisme à but non lucratif qui lutte contre la pollution atmosphérique causée par la combustion de bois, voit dans le rapport du Bureau du vérificateur général la preuve que le programme de certification EPA n’a aucune crédibilité.

C'est un petit peu l'équivalent du rapport Charbonneau pour l'industrie des poêles à bois. Le processus de certification, on se rend compte qu’il est totalement dysfonctionnel, dénonce en entrevue à Radio-Canada le président-directeur général de FAP, Daniel Vézina.

Le rapport démontre, selon lui, que les villes et les États qui financent le remplacement de vieux poêles et foyers par des appareils certifiés dans l’espoir de limiter les émissions de particules fines générées par le chauffage au bois font fausse route.

Le chauffage au bois, rappelle Daniel Vézina, demeure l’une des principales sources de pollution atmosphérique générées par l’activité humaine, et ce, malgré la mise en marché d’appareils certifiés.

On ne peut pas prétendre d'aucune façon que c'est un chauffage écologique quand les appareils les plus performants sur le marché vont polluer jusqu'à 450 fois plus que les poêles au gaz [...] qui ne sont déjà pas une bonne idée, soutient le PDG de Familles pour l’air pur.

Matière à réflexion

Daniel Vézina ajoute qu’il existe très peu de données factuelles prouvant que les programmes de remplacement des appareils de chauffage au bois contribuent à améliorer significativement la qualité de l'air.

Certaines villes investissent actuellement des millions de dollars en remplacement des vieux appareils. Donc, c'est des conclusions qui portent à réfléchir sur cet enjeu-là. Est-ce qu'on doit encore subventionner ce genre d'appareil?

Daniel Vézina, président-directeur général, Familles pour l’air pur

M. Vézina fait remarquer qu’une enquête de l’organisation États du Nord-Est pour une gestion coordonnée de l'utilisation de l'air (NESCAUM) publiée en 2021 était arrivée sensiblement aux mêmes conclusions que le Bureau du vérificateur général.

NESCAUM estimait que le programme de certification de l’EPA était dysfonctionnel, notamment parce qu’il peut être manipulé facilement par les fabricants des poêles et foyers au bois et par les laboratoires qui les testent. C’est d’ailleurs à la demande de NESCAUM que le Bureau du vérificateur général a ouvert une enquête.

Le Dieselgate du chauffage au bois?

Daniel Vézina croit que les failles du programme EPA ne sont pas sans rappeler le scandale des moteurs diesel truqués, mieux connu sous le nom de Dieselgate, qui a éclaté en 2015.

Ce n'est pas un cas de fraude flagrante de la part du manufacturier comme c'était le cas pour les fabricants d'automobiles, mais ce qu'on dit, c'est que le processus faisait en sorte qu'il y avait beaucoup de liberté pour les manufacturiers pour faire certifier tous les designs possibles imaginables, fait valoir Daniel Vézina.

L’industrie québécoise des poêles et foyers au bois invite à interpréter prudemment les conclusions du Bureau du vérificateur général.

SBI International, un important fabricant de produits de chauffage résidentiel basé à Saint-Augustin-de-Desmaures, près de Québec, travaille constamment avec les gens du programme EPA pour certifier ses appareils.

Des tests sérieux

Son président-directeur général, Mark Murphy, voit mal comment on pourrait reprocher à l’agence américaine de manquer de rigueur dans la façon dont elle administre son programme de certification. Il demeure convaincu de la fiabilité de la norme EPA.

Les tests pour obtenir la certification EPA, ce sont des tests sérieux qui sont faits par nous de façon sérieuse, qui sont recertifiés par des laboratoires extérieurs et qui sont recertifiés par la suite par l'EPA à la suite de rapports de 700, 800, 900, 1000 pages qu’on produit et sur lesquels on se fait challenger régulièrement pour des petits éléments comme une signature manquante à la page 683, indique M. Murphy en entrevue à Radio-Canada.

Il raconte qu’à la suite d’une semaine de tests effectués sur un appareil en 2023, SBI a décidé de refaire l’un d’eux. Cela a été suffisant, aux yeux de l’EPA, pour invalider l’ensemble des tests réalisés cette semaine-là.

On a refait le test sans attendre la réponse de l'EPA parce qu'il y avait des gens des laboratoires qui étaient sur place. À la suite de cette semaine de tests là, qui était très coûteuse, on a [essuyé] un refus de l’EPA pour vice de procédure. Alors, les procédures pour les laboratoires qui nous certifient, et pour l'EPA, c'est très, très, très sérieux, insiste Mark Murphy.

On ne fait pas pousser des plantes

Le PDG ajoute que lui et ses confrères de l’industrie sont conscients que les appareils de chauffage au bois rejettent des contaminants dans l’atmosphère, et que c’est justement dans le but de diminuer leurs émissions que les fabricants déploient constamment des efforts pour améliorer l’efficacité de leurs produits.

On ne fait pas pousser des plantes, on fait des appareils qui brûlent du bois. On est très conscient de ça. C'est ce qu'on fait dans la vie, mais l'idée, c'est de le faire le plus proprement possible.

Mark Murphy, président-directeur général, SBI International

Le PDG tient à préciser que le chauffage au bois n’est pas la seule ni la plus importante source d’émission de particules fines au Québec et au Canada.

Se référant au « Rapport d’inventaire des émissions de polluants atmosphériques du Canada 1990-2020 », il mentionne que le chauffage au bois résidentiel émet considérablement moins de particules fines que l’agriculture et la poussière générée, entre autres, par les activités de construction et les routes non pavées.

M. Murphy fait remarquer que les particules fines émises par le chauffage au bois résidentiel ont diminué de 43 % entre 1990 et 2020.

L’un des principaux reproches que le Bureau du vérificateur général a adressés au programme de certification de l’EPA est que ses méthodes de tests manquent de précision et ne reflètent pas les conditions réelles d’utilisation des poêles et foyers.

Le directeur de l'ingénierie de produits chez SBI, Louis-Pierre Côté, rappelle que l’EPA a pendant longtemps préconisé les tests effectués à l’aide de bois d’essai normalisé, ou crib wood en anglais.

Le recours à ce type de bois, qui brûle de manière uniforme, visait à améliorer la constance des tests réalisés en laboratoire et à les rendre répétables.

Le but de cette méthode de test là, c’était vraiment de dire : "non, non, non, on ne veut pas avoir de variation entre les tests qu'on fait." Oui, mais ça donne l'inverse de ce qui se passe dans la vraie vie, explique M. Côté.

Afin que les tests reflètent davantage les conditions réelles d’utilisation des poêles et foyers, l’EPA utilise depuis quelques années du bois de corde, une méthode plus fidèle à la réalité, mais qui entraîne davantage de variations dans les résultats des tests.

Perfectible, mais fiable

Louis-Pierre Côté souligne que les faits contenus dans le rapport du Bureau du vérificateur général se sont déroulés sur plusieurs années. Au cours de cette période, poursuit-il, l'EPA a exigé que certains appareils repassent des tests de certification pour valider leur conformité.

Est-ce qu’on croit que cette méthode de test là n'est pas fiable? Non. On croit qu'elle est fiable. Est-ce qu'on croit qu'on peut continuer à la préciser? Oui, je pense qu’il y a un travail qu'on peut continuer à faire de ce côté-là.

Louis-Pierre Côté, directeur de l'ingénierie de produits, SBI International

M. Côté soutient que les appareils certifiés qui, à la suite de tests indépendants, ont enregistré des taux d’émission dépassant de quelques grammes la norme EPA de 2,5 g/h sont tout de même plus propres que les anciens modèles.

Cela démontre selon lui que l’industrie s’en va dans la bonne direction. Mark Murphy abonde dans le même sens.

Même si on faisait une fausse balle et qu’on se trompait un peu en étant à 3,5 g/h, on serait à des kilomètres des 40 ou 45 g/h des anciens appareils. On ne dit pas que c'est la bonne affaire, d'être à 3,5 g/h, mais on serait vraiment beaucoup plus propre que les appareils d'ancienne génération, insiste le PDG de SBI.

Il est prêt à parier que l’industrie arrivera, d’ici quelques années, à abaisser les taux d’émission des poêles et foyers au bois à 2 g/h, voire à 1,5 g/h.