Un article écrit par Maude Montembeault

Parfum d’inconfort au rayon des produits de fraîcheur vaginale

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La douche vaginale existe depuis plus de 80 ans. Elle est vendue en pharmacie et sur le web. Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
La douche vaginale existe depuis plus de 80 ans. Elle est vendue en pharmacie et sur le web.

Des produits sans intérêt scientifiquement démontré et qui peuvent causer du tort, comme les douches vaginales, sont offerts en pharmacie. Mal à l'aise, l’Ordre des pharmaciens lance une consultation auprès de ses membres sur la présence de certains produits qu’il espère aussi être mieux réglementés par Santé Canada.

« La négligence de l'hygiène féminine, disent de nombreux médecins et psychiatres, peut être la cause de nombreuses tragédies conjugales. »

C’est en ces mots que la marque Lysol tentait de convaincre des femmes d’utiliser son désinfectant pour l’hygiène féminine, dans une publicité parue dans le journal La Patrie, le 19 novembre 1939.

On pourrait croire que ce type de message appartient à une autre époque. Pourtant, encore en 2024, la marque RepHresh suggère sur Facebook trois étapes pour une ambiance de Saint-Valentin réussie.

  1. Allumez une bougie pour la romance;
  2. Prenez une menthe pour une haleine fraîche;
  3. Insérez le gel vaginal RepHresh, qui élimine les odeurs.

Ça aide à rester confiante et fraîche!, promet-on.

C’est une énorme industrie qui est constamment changeante, observe la Dre Geneviève Bois, qui se spécialise en santé de la femme.

On voit que les produits changent, mais que l'idée demeure. Cet engouement-là pour essayer de nettoyer ou rafraîchir sa vulve semble continuer d'exister à travers les générations, constate la Dre Bois, qui demande aux autorités de se pencher sur cet enjeu. S'il y a pas un meilleur cadre réglementaire, ça va être une mode après l'autre et un produit dommageable après l'autre.

L’existence de ces produits a aussi l’effet d’une douche froide pour la gynécologue-obstétricienne Jeanne Laflamme. Ça envoie vraiment un mauvais message aux femmes que la vulve, c'est sale, la vulve, ça pue.

Au milieu de médicaments, dans la section pharmacie, un large éventail de produits s'offre aux clientes. Douches, gels, lingettes, vaporisateurs, nettoyants, etc. Santé Canada classe ces produits comme des cosmétiques. Ils sont destinés à des femmes de tous les âges.

Selon une étude réalisée par l’Université Guelph, elles sont nombreuses à utiliser des produits qui ont en commun de miser sur la fraîcheur vulvaire ou vaginale.

L’argent ne semble pas avoir d’odeur pour les compagnies qui commercialisent les produits d’hygiène féminine. Ça n'a aucune raison d'être là. C'est basé sur rien du tout, s'insurge la Dre Bois. Il y a beaucoup d'argent à faire, à jouer sur la l’insécurité que les femmes ont par rapport à leurs organes, ajoute-t-elle. Ces produits-là sont inutiles, puis ils sont même délétères pour la vulve, soutient la Dre Laflamme.

Les entreprises Vagisil, RepHresh et pHemme n’ont jamais répondu à nos nombreuses demandes d’information. Quant à Summer’s Eve, la compagnie a refusé de participer à notre reportage.

Les deux médecins réclament plus d’études pour appuyer ce qu’elles constatent dans leurs cabinets. À l’heure actuelle, la littérature scientifique n’est formelle que pour les effets néfastes des douches vaginales. Selon des études, elles peuvent mener à des vaginoses.

Ce qui est vraiment documenté, c'est que les douches vaginales sont un facteur de risque pour la vaginose bactérienne, explique la Dre Laflamme. La vaginose, c’est quand il y a un débalancement au niveau du Ph. Les mauvaises bactéries vont venir prendre le dessus. Ça va donner des sécrétions vaginales qui vont être très malodorantes, qui vont souvent sentir le poisson.

Sur la boîte des douches Summer’s Eve, des mises en garde sont faites. Il est déconseillé d’utiliser le produit en cas de symptômes d’inflammation pelvienne ou d’infection transmise par le sexe ou le sang (ITSS). Il n’est pas question des risques possibles de vaginose sur le carton.

Pour moi, Santé Canada devrait retirer ça des tablettes puisque c'est prouvé dans la littérature que c'est un facteur de risque pour la vaginose bactérienne, plaide la Dre Laflamme. L’agence gouvernementale répond que les cosmétiques contenant une substance susceptible de nuire à la santé sont interdits.

En ce qui concerne les produits autres que les douches vaginales, ce sont souvent les parfums qui peuvent causer du tort au sexe féminin.

Lingettes à la fleur de pêche. Nettoyant qui sent le lilas du printemps. Vaporisateur à l’effet Island splash. Les options olfactives ne manquent pas. « Je ne suis pas sûre que c'est une bonne idée de s'aérosoliser la vulve », soutient la Dre Bois. La Dre Jeanne Laflamme donne l’exemple des lingettes. Avec leur parfum, elles vont venir vraiment créer de l'irritation.

Pour les lingettes, elles notent qu’elles sont réservées à un usage externe. C'est une peau qui est plus fragile. Donc généralement, un produit qui devrait être pour usage externe ne devrait pas être mis sur la vulve, conclut la Dre Bois.

Une aura de légitimité

Sur leurs boîtes ou leurs bouteilles, la majorité des compagnies écrivent avoir reçu l’aval de médecins spécialistes. Ces affirmations ne sont pas une référence crédible, selon les experts consultés, dont la Dre Laflamme. Quand on regarde pour une marque de confiance, pour les gynécologues, c’est un sceau d'approbation par la Société canadienne des gynécologues-obstétriciens, la SOGC.

Ça donne une fausse impression, renchérit le président de l’Ordre des pharmaciens du Québec, Jean-François Desgagné. Ça donne un avis de sécurité ou d'efficacité qui n’est jamais relié à des vérités scientifiques. Ça va favoriser la vente.

Pour la Dre Geneviève Bois, ces produits jouissent d’une apparence de légitimité, non seulement en raison des affirmations écrites sur les contenants, mais également par leur présence en pharmacie. J'ai l'impression qu'il y a beaucoup de produits qui ne devraient simplement pas être tenus en pharmacie, que ça leur donne une aura de légitimité qui n'est pas défendable.

Selon le Règlement sur les cosmétiques, les fabricants doivent apporter des preuves à l’appui de toute allégation figurant sur une étiquette ou dans une publicité et laissant entendre que la formulation, la fabrication ou l’efficacité du cosmétique ne portera pas atteinte à la santé de la personne qui l’utilise, précise Santé Canada.

Le pharmacien est responsable de ce qu'il vend dans sa pharmacie

Pourquoi les pharmaciens vendent ces produits-là, alors qu'on sait qu'ils sont inutiles et parfois délétères pour la santé de la femme? se questionne la Dre Jeanne Laflamme.

Plusieurs experts avec qui La facture s’est entretenue estiment que la présence des produits d’hygiène féminine, aux côtés des médicaments, représente un problème car elle peut donner l’impression d’avoir été étudiée adéquatement. Ça laisse croire aux femmes, quand c'est vendu à côté d'une crème médicamentée en vente libre, que c'est un produit légitime, que c'est un produit qui a été étudié de façon adéquate, résume la Dre bois.

Je vous avoue qu'on a un certain inconfort, confie Jean-François Desgagné. Selon lui, le malaise s’explique par le fait que des groupes ou des bannières peuvent exercer une forme de pression auprès des pharmaciens afin qu’ils tiennent certains produits. Au bout du compte, le pharmacien est responsable de ce qu'il vend dans sa pharmacie. C'est l'ultime décisionnaire. Donc, la décision revient au pharmacien, tranche le président.

C’est aussi l’avis de l’Association des bannières et des chaînes de pharmacies du Québec (ABCPQ). Lorsque les pharmaciens propriétaires choisissent de s’affilier à une chaîne ou à une bannière, des services de planogramme et de mise en marché peuvent être offerts. Les pharmaciens propriétaires peuvent demander à leur chaîne ou bannière de retirer ou déplacer des produits, incluant les produits d’hygiène féminine, précise son président, Jean Thiffault.

Pour le président de l’Ordre, le statu quo est impensable. Un grand chantier est actuellement en cours à l’Ordre sur la cohérence des produits offerts en pharmacie. Jusqu’ici, 80 % des 800 pharmaciens qui ont répondu à un sondage sur le sujet disent avoir un inconfort marqué avec certaines gammes de produits, dont ceux destinés à la fraîcheur vaginale.

Ça va nous amener, je pense, à prendre certaines décisions ou à faire certaines recommandations, soutient-il, au sujet de cette consultation.

Les produits amaigrissants sont également dans la mire des pharmaciens. En janvier dernier, La facture mettait en lumière les enjeux liés à la vente et à la promotion de ces produits en pharmacie.

Le pharmacien doit exercer la pharmacie avec compétence et selon les données scientifiquement acceptables, stipule le code de déontologie des pharmaciens. Est-ce que les pharmaciens enfreignent leur code en offrant douches vaginales, lingettes, vaporisateurs, gels et nettoyants?

Le bureau du syndic de l’Ordre précise qu’un pharmacien qui encouragerait l’utilisation de produits sans valeur thérapeutique ou potentiellement nuisibles se retrouverait à risque sur le plan déontologique. Les pharmaciens ont le devoir d'encourager des mesures qui contribuent à l’amélioration de la santé.

Toutefois, la vente des produits de fraîcheur féminine n’enfreint pas le code, précise le syndic. La vente de produits réglementés par Santé Canada à titre de cosmétiques ou de produits de santé naturelle (PSN) n'est pas considérée comme dérogatoire à la déontologie.

Plaidoyer auprès de Santé Canada

Jean-François Desgagné dit intervenir régulièrement auprès de Santé Canada pour qu’il resserre certaines normes. Le message à Santé Canada, c'est de premièrement nous répondre quand on leur parle. Puis de prendre en considération ce qu'on leur dit. Santé Canada devrait être un partenaire un peu plus actif avec les différents ordres professionnels, espère-t-il.

Il est peu probable que Santé Canada s’implique pour faire cesser la commercialisation des produits au pays, admet M. Desgagné. Parmi les changements souhaités en pharmacie, il serait réaliste, selon lui, que des affichettes soient apposées à côté des produits, que le pharmacien les place derrière le comptoir ou même qu’il ne les vende plus dans sa pharmacie.

Je pense qu'il y a au moins de l'affichage qui devrait être fait en pharmacie, si ce n'est pas de tout simplement retirer ces produits-là, dit-il.

En cas de symptômes, consultez un professionnel, conseillent les experts. Il faut être fière d'être une femme, il faut être fière de notre vulve, conclut la Dre Laflamme.

Avec la collaboration de Bernard Leduc, Claude Laflamme et Charlotte Groulx.

Le reportage de la journaliste Maude Montembeault et de la réalisatrice Claude Laflamme sera diffusé mardi à 19 h 30 à La facturesur les ondes d'Ici-Télé.