Un article écrit par Véronique Prince

Les médecins de famille s’inquiètent pour la prise en charge de nouveaux patients

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Les médecins de famille craignent que le nouveau règlement projeté les obligeant à prioriser certains patients nuise à leur autonomie professionnelle et remette en question leur jugement.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
Les médecins de famille craignent que le nouveau règlement projeté les obligeant à prioriser certains patients nuise à leur autonomie professionnelle et remette en question leur jugement.

Les médecins de famille exhortent le gouvernement Legault à renoncer à un projet de règlement qui pourrait limiter davantage l’accès aux soins de santé, selon eux. Après avoir envoyé une mise en demeure au ministre de la Santé, Christian Dubé, il y a quelques semaines, leur fédération espère un ultime revirement de situation avant l’entrée en vigueur des nouvelles règles.

Les omnipraticiens craignent que le règlement les empêche d’accepter spontanément de prendre en charge une personne qui se présente à leur bureau par le service sans rendez-vous, même celles provenant du Guichet d’accès à la première ligne (GAP), dont le ministre Dubé fait pourtant la promotion pour les personnes sans médecin de famille. Il faudra prioriser les gens inscrits sur la liste du Guichet d’accès à un médecin de famille (GAMF).

Si je vois quelqu’un dans un contexte de sans rendez-vous parce qu’il est orphelin de médecin de famille, je peux actuellement choisir de le prendre en charge parce que je juge qu’il a des besoins de santé importants. Je le fais en ne signant qu’un formulaire, envoyé à la Régie de l’assurance maladie du Québec, explique la Dre Chantal Guimond.

Maintenant, il faudra justifier cette prise en charge là, puisque ce n’est pas un patient proposé par le Guichet d’accès à un médecin de famille. Je l’ai écouté, j’ai pris en charge partiellement son problème, je veux le revoir pour continuer les soins, mais ça met un frein.

Dre Chantal Guimond, médecin de famille et présidente du réseau Ma Clinique

La relation médecin-patient qui se développe naturellement lors d’une consultation ne devrait pas primer sur la liste d’attente du GAMF, selon l’interprétation du règlement que fait aussi la Dre Anne-Marie Beaulieu.

Je suis médecin d’une petite famille, des deux parents et des deux enfants. Ils me demandent si je peux prendre en charge leur troisième bébé. Si je veux inscrire ce nouveau bébé-là, je crains une charge administrative supplémentaire, avec des formulaires supplémentaires que je vais devoir remplir, explique la Dre Beaulieu.

Le ministre Christian Dubé y voit une interprétation erronée du règlement, qui prévoit plusieurs exceptions, comme la prise en charge de membres d’une même famille. Un nouveau bébé pourrait donc être suivi par le même médecin.

Notre priorité, c'est de s'assurer que les patients vulnérables sont pris. Lorsqu'une personne en bonne santé vient voir son médecin, le médecin n'a aucune obligation de ne pas prendre cette personne-là. La seule chose qu'il doit vérifier, c'est si dans sa région il y a des personnes vulnérables qui devraient être prises en priorité. S'il n'y en a pas, il peut prendre tous les patients qu'il veut.

Christian Dubé, ministre de la Santé

Le ministre espère obliger les médecins à prendre en charge 13 000 patients vulnérables toujours en attente au GAMF.

Le ministre ne s’y prend pas de la bonne manière, prétend la FMOQ

Ça risque de dégager moins de temps pour les médecins qui veulent donner des services cliniques aux patients, soutient le président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), le Dr Marc-André Amyot. Il prétend que les médecins devront justifier sur papier les raisons de choisir certains patients, plutôt que d'autres.

Le ministre Dubé réfute cette autre affirmation. Il réplique que les médecins devront effectivement partager des données concernant leur prise en charge, mais que tout se fera de manière entièrement automatisée.

La FMOQ a envoyé une mise en demeure à Christian Dubé, il y a quelques semaines, pour le décourager de mettre en œuvre son règlement.

Je ne laisse pas sous-entendre qu’il n’y a pas de problématique d’accès. Bien au contraire, on sait que c’est difficile, précise le Dr Amyot.

Dans ses commentaires envoyés au ministre vendredi dernier, la FMOQ plaide que le règlement affecte l’autonomie professionnelle des médecins de famille.

Pour accepter un autre patient que celui inscrit sur le GAMF, il faudra effectuer une demande préalable d’autorisation au coordonnateur médical. Les omnipraticiens prétendent que ce processus met au rancart en grande partie le jugement clinique que doit exercer un médecin quant à savoir si un patient bénéficierait d’une inscription.

La période de consultation de 45 jours suivant la publication du règlement vient tout juste de se terminer. Il devrait entrer en vigueur sous peu. On va avoir modifié certaines choses d'ici là pour s'assurer de simplifier le processus. Le coordonnateur médical du guichet est là dans un rôle de supervision, pas de coercition. Il y aura beaucoup moins de paperasse, ajoute le ministre Dubé.

Il assure que l’objectif du règlement demeure la prise en charge de patients prioritaires. Les autres, dont les conditions de santé ne sont pas jugées urgentes, pourront continuer de consulter un professionnel de la santé en passant par le GAP, en attendant de se faire attribuer un médecin de famille.

Il en va de notre responsabilité de nous assurer que les patients vulnérables sont pris en charge en priorité dans le système de santé. On parle ici de Québécois vivant avec le VIH ou ayant des idées suicidaires, notamment. La prise en charge d’un nouveau patient ne doit pas se faire au détriment d’une personne qui est vulnérable. Il est ainsi tout à fait logique que ces personnes soient prises en charge de manière prioritaire.