Un article écrit par Daniel Boily

Une plaie de lit fatale pour un tétraplégique

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Normand Meunier a choisi l’aide médicale à mourir plutôt que la perspective de complications liées à une plaie de pression infectée et à sa condition physique.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
Normand Meunier a choisi l’aide médicale à mourir plutôt que la perspective de complications liées à une plaie de pression infectée et à sa condition physique.

Le CISSS des Laurentides ouvre une « enquête interne » à la suite d’un séjour à l’urgence d’un patient lourdement handicapé. Un cas extrême qui met en lumière les souffrances vécues par des milliers de patients au Québec aux prises avec une plaie de lit.

Lorsqu’il s’est présenté à l’hôpital de Saint-Jérôme un jeudi du mois de janvier, Normand Meunier ne s’attendait pas à se retrouver confiné sur une civière aux urgences pendant plusieurs jours.

Ni qu'il allait recourir à l’aide médicale à mourir quelques semaines plus tard pour mettre fin à ses souffrances.

Camionneur de métier, Normand Meunier était paralysé des bras et des jambes depuis 2022 à la suite d’une lésion de la moelle épinière.

À chaque fois qu'on rentre à l'hôpital, c'est mon devoir de les avertir que Normand est tétraplégique et qu’il a besoin d'un matelas à pression alternative, explique sa conjointe, Sylvie Brosseau.

Selon elle, son conjoint serait demeuré cette fois quatre jours sur une civière à l’urgence avant d’obtenir un lit adapté aux soins intensifs. Il était hospitalisé pour un virus respiratoire, son troisième en trois mois.

Je ne comprends pas comment ça se fait, parce qu’un matelas, c'est la base, laisse tomber Mme Brosseau. On m’a dit qu’il fallait le commander.

Un matelas adapté permet de déplacer les points de pression pour éviter la formation d’une plaie de lit.

Quand on est couché, toujours dans la même position, il y a une hyper pression qui s'exerce entre l'os et la peau et ça empêche la peau d’être bien irriguée, explique le gériatre retraité et professeur titulaire retraité de la Faculté de médecine de l’Université Laval, Jean-Pierre Beauchemin.

Si la peau [...] manque de sang artériel, elle fait de la nécrose, la peau meurt et ça crée un ulcère, ajoute-t-il.

Fessier, talons, coudes et genoux sont particulièrement vulnérables.

Une plaie de pression, ça peut s’ouvrir en moins de 24 heures, puis c'est très long à refermer.

Jean-Pierre Beauchemin, gériatre retraité.

À défaut d'avoir accès à ce type de matelas, il faut changer fréquemment la position du corps du patient afin d’éviter la formation de plaies de lit, ce qui n’aurait pas été le cas aux urgences, selon Mme Brosseau.

Un horaire de rotation toutes les deux heures est généralement nécessaire pour une personne confinée au lit, indique une fiche de référence du ministère de la Santé.

Durant son séjour, M. Meunier aurait développé une plaie de pression majeure au fessier.

Par le passé, ce dernier avait déjà eu d’autres plaies, au talon notamment, mais rien d’aussi handicapant.

450 matelas adaptés

Au CISSS des Laurentides, la direction dit prendre très au sérieux le dossier de M. Meunier. Une enquête interne est en cours afin de faire la lumière sur les événements, écrit-on par courriel.

L’établissement précise disposer de 450 matelas thérapeutiques, dont 145 à pression alternative dans l’ensemble de ses installations (hôpitaux et CHSLD).

Le matériel est disponible à tous les départements et utilisé selon les demandes des équipes de soins, assure-t-on.

Matelas et lits adaptés ne se retrouvent cependant pas aux urgences, explique en entrevue à l’hôpital le directeur des soins infirmiers au CISSS des Laurentides, Steve Desjardins.

L'urgence, ce n'est pas un endroit qui est approprié pour ce type de matelas parce que ce ne sont pas des lits dans une urgence, ce sont des civières [et] il n'y a pas vraiment de matelas adapté pour une civière.

Une urgence, c'est un endroit qui est plus à risque pour une personne plus fragile, et c'est pour ça qu'on va travailler activement, si c'est nécessaire, à leur donner accès à un lit dans une unité d'hospitalisation.

Steve Desjardins, directeur des soins infirmiers au CISSS des Laurentides

Le directeur des soins infirmiers ajoute que le personnel soignant est formé et sensibilisé pour déplacer sur leur civière les patients susceptibles de développer des plaies.

À quel point ont-ils le temps? Ça, c'est très très variable, dépendamment de l'occupation, mais ils portent une attention suffisamment importante pour le faire, pour prioriser ces actions-là, dit-il.

L’urgence de Saint-Jérôme figure régulièrement parmi les plus achalandées au Québec.

Selon le gériatre retraité Jean-Pierre Beauchemin, la salle d'urgence, dans ces circonstances-là, est un milieu presque hostile à ce genre de patient.

C'est pour ça qu'en général, il faut que le séjour en urgence soit le plus court possible avec un transfert rapide sur l'étage avec des mesures de prévention et matelas adapté.

Choisir de mourir

À la suite de ce séjour à l’hôpital, la plaie de M. Meunier s’était aggravée au point où l’os et le muscle étaient exposés et visibles. Un trou béant de quelques centimètres de diamètre qui peut prendre plusieurs mois à cicatriser si toutes les conditions sont réunies, selon les experts consultés.

Selon sa conjointe, il aurait subi deux débridements en un mois.

Un acte médical qui consiste à enlever des matières nécrotiques, croûtes, tissus infectés, pour favoriser la cicatrisation de la plaie.

Lors de notre passage à son domicile, Normand Meunier a mentionné que le pronostic de son médecin était sombre.

À 66 ans, ce dernier a expliqué préférer mettre un terme à ses souffrances physiques et psychologiques en recourant à l’aide médicale à mourir.

Je veux pas être un fardeau. Puis d'une manière d'un autre, avec les avis médicaux, je ne serais pas un fardeau longtemps; comme disent les vieux, il vaut mieux donner un coup de pied sur la canisse!

Normand Meunier (1957-2024)

Il est décédé chez lui le 29 mars dernier.

Émue, sa conjointe s’est dite reconnaissante des soins à domicile offerts quotidiennement depuis deux ans.

Les infirmières du CLSC qui viennent faire les soins à Normand sont des perles, des vraies perles. Un bouquet offert par l’équipe trônait sur la table de cuisine.

3700 cas par année dans les hôpitaux et CHSLD

Selon les données du ministère de la Santé, plus de 3700 patients se retrouvent avec une plaie de pression chaque année dans les hôpitaux et CHSLD du Québec.

Le directeur général de l’organisme Moelle épinière et motricité Québec, Walter Zelaya, déplore qu’autant de patients développent des plaies de pression dans le réseau de la santé.

C’est contradictoire, parce que nous avons au Québec des centres d’expertise en traumatologie, un fleuron, mais on n’arrive pas à gérer de simples plaies de pression, affirme-t-il.

Ce qui est grave, poursuit-il, c'est qu'il y a déjà des protocoles qui sont établis [...] et tout hôpital au Québec est tenu d'avoir des matelas spécialisés pour cette clientèle-là.

Sous l’œil des coroners

Du côté du Bureau du coroner, certains rapports de décès critiquent au passage la qualité des soins liés à la gestion de plaies de pression.

Quelques coroners vont plus loin.

Dans un rapport de 2019 par exemple, une coroner explique qu'un homme de 90 ans est décédé d’une septicémie secondaire à une gangrène des pieds consécutive à des plaies de pression.

Hébergé dans une RPA, l'homme passait ses journées dans son fauteuil roulant dans la même position; il refusait systématiquement qu’on le touche. Il a également refusé une amputation à deux reprises, note la coroner.

Dans un dossier de 2022 cette fois, on rapporte qu'un homme de 89 ans est décédé d’un choc septique consécutif à une surinfection de plaies de pression causées par un alitement prolongé qui suit une chute. À la suite d’une chute à son domicile, il a refusé d’aller à l’hôpital. Des plaies infectées se sont développées en moins de 10 jours.

Plus récemment à Montréal en 2023, une coroner a recommandé au CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal de prendre des mesures afin de réduire les délais d’attente pour les services de physiothérapie ambulatoires pour les personnes avec des problèmes de santé invalidants.

Une dame de 65 ans est probablement décédée de complications infectieuses d’une plaie de pression ulcérée, dans un contexte d’immobilisation prolongée à son domicile. L’accès à des soins de physiothérapie aurait pu maintenir sa mobilité.