Un article écrit par Radio-Canada

Un poisson d’eau douce colonise des lacs à vol de canard

Science > Faune marine

Une perche commune européenne, Perca fluviatilis. (Photo d'archives)Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
Une perche commune européenne, Perca fluviatilis. (Photo d'archives)

Véritable passager clandestin, la perche commune (Perca fluviatilis), un poisson d'eau douce très répandu en Europe, colonise les lacs grâce au transport de ses œufs par des canards, selon une étude parue dans Biology Letters (en anglais) mercredi.

Comment des lacs isolés, privés d'accès à un cours d'eau, peuvent-ils quand même grouiller de poissons? Charles Darwin avait soulevé une piste en constatant que des larves de mollusques s'attachaient aux pattes d'un canard, et ce, avant de supposer qu'elles pourraient survivre au vol qui les mènerait jusqu'à un nouveau plan d'eau à coloniser.

Des expériences, la plupart récentes, ont exploré le processus de zoochorie aviaire, par lequel des organismes vivants jouent les passagers clandestins d'un lieu à un autre, sur les plumes ou même dans l'estomac d'un volatile.

L'étude menée par le doctorant Flavien Garcia et par ses collègues du Laboratoire évolution et diversité biologique à l'Université Toulouse III, avec l'aide d'un professeur en biologie aquatique américain, est la première à en chercher la preuve sur le terrain.

C'est plus précisément dans un ensemble de lacs de gravières en Haute-Garonne, dans le sud-ouest de la France, qu'ils ont mené leur étude. Généralement, ces carrières inondées sont exploitées par des entreprises et strictement fermées au public. Une fois leurs ressources épuisées, après 10 ou 15 ans, elles lui sont alors généralement ouvertes.

Les biologistes en ont examiné 37, dont un tiers encore fermées et inaccessibles aux pêcheurs à la ligne. Tous ces lacs comptaient une population majoritairement composée de perches communes.

L'étude a d'abord écarté une source possible de colonisation de ces plans d'eau par l'habitude d'amateurs de pêche à la ligne de les peupler de poissons pour mieux les y ferrer.

Les responsables des gravières ont exclu toute introduction de poissons dans leur exploitation. Quant aux lacs ouverts au public, les pêcheurs qui avaient confessé des lâchers sauvages d'alevins ont avoué le faire avec des espèces plus sportives, comme la perche truitée ou la carpe.

Le saviez-vous?

La perche commune européenne et la perchaude nord-américaine (Perca flavescens) sont considérées comme des espèces distinctes, mais elles possèdent une morphologie et des modes de vie semblables.

Oeufs de poissons en apéritif

Une autre observation qui exclut une intervention humaine repose sur l'analyse génétique de plus de 500 perches. L'introduction artificielle de perches devrait se traduire par une plus grande diversité génétique de l'espèce dans les lacs ouverts à la pêche... Or, elle est sensiblement égale à celle des gravières fermées au public.

D'autres lignes d'évidence confortent le rôle des oiseaux dans la colonisation, tout particulièrement le canard colvert. Il y a une synchronie entre le moment de la ponte des perches et une période de forte abondance des canards, fait remarquer Flavien Garcia.

Le colvert et le foulque macroule, une poule d'eau, peuplent les lacs jusqu'à la fin de leur période d'hivernage, en février, précisément pendant la période de reproduction de la perche commune, qui a besoin pour sa fraie d'une eau bien froide, entre 8 et 10 degrés Celsius.

Ses œufs, aussi minuscules qu'innombrables, s'étendent sur de longs rubans gélatineux pouvant faire jusqu'à 1,50 mètre. Adhérant, à fleur d'eau, aux plantes et cailloux, ils peuvent aisément se coller aux pattes ou aux plumes des canards, voire finir en apéritif dans leur gosier.

Or, des expériences récentes ont montré que des œufs de poisson peuvent survivre au transit intestinal de leur hôte...

L'analyse génétique apporte un autre indice avec un lien entre la proximité géographique des lacs et celle, génétique, des perches qui y évoluent. Les chercheurs ont même identifié des migrants de première génération, explique M. Garcia, c'est-à-dire des perches dont le génotype appartient à celui de la population d'un autre lac.

Par ailleurs, la moitié des colonisations de lacs se font sur une distance inférieure à 2 km, la même que celle que couvrent habituellement les canards.

La seule preuve manquante, c'est la capacité de l’œuf de perche à survivre à la digestion du colvert. Elle nécessiterait une expérience compliquée d'un point de vue pratique et éthique, dit M. Garcia, qui requerrait notamment de sacrifier les animaux pour examiner leur tube digestif.