Un article écrit par Myriam Eddahia

Insécurité linguistique : « On me dit que je parle bizarre parce que j’ai un accent »

Société > Francophonie

En situation linguistique minoritaire, l'accent et l'étendue du vocabulaire en français, notamment, sont des facteurs qui découragent certaines personnes de parler la langue.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
En situation linguistique minoritaire, l'accent et l'étendue du vocabulaire en français, notamment, sont des facteurs qui découragent certaines personnes de parler la langue.

Les attitudes vis-à-vis des gens qui parlent français devront changer si on veut lutter contre l'insécurité linguistique, prévient une chercheuse en linguistique.

La jeune Koubra Haggar est catégorique : « Je ne veux pas qu'on fasse des petits commentaires par rapport à mon accent ».

La jeune femme, qui habite à Hamilton, a accepté de raconter son expérience sur l'insécurité linguistique.

Le phénomène touche de nombreux francophones et francophiles en milieu minoritaire, pour qui il peut être embarrassant ou gênant de s'exprimer en français pour plusieurs raisons : l'accent, la grammaire, l'étendue du vocabulaire et la pression de ceux qui ne parlent pas français.

On me demande si je viens du Québec ou du Nord de l'Ontario et on n'arrive pas vraiment à croire qu'il y a des gens dans le sud de l'Ontario qui parlent français, observe Koubra Haggar.

On me dit toujours que je parle drôle ou je parle bizarre parce que j'ai un accent.

Koubra Haggar, résidente de Hamilton

C'est à la fin de ses études à l'école secondaire que la jeune femme de 22 ans prend la décision d'améliorer son français.

J'ai fait un effort conscient de parler français, mais j'ai aussi compris qu'il y a une idée associée avec la manière dont les gens [devraient parler], explique Koubra Haggar.

En étudiant la linguistique, elle apprend qu'il n'y a pas de manière correcte ou parfaite de parler, ce qui lui a permis d'avoir plus confiance en elle.

Elle ajoute que son accent change selon l'environnement dans lequel elle se trouve. Il s'adapte donc aux personnes avec qui elle parle.

Quand j'ai vraiment accepté que mon français soit construit par mon environnement et mon identité, j'ai réalisé qu'on doit accepter que cela fasse partie de nous, renchérit Koubra Haggar.

Défaire la norme

L'insécurité linguistique, c'est cette prise de conscience par celui qui parle, de la distance entre la manière dont il parle et la manière de parler qu'il estime la plus haute, qui peut être perçue comme pure et qui sera non déclassante, explique la professeure adjointe au département de Curriculum, Teaching and Learning à l'Université de Toronto et directrice du Centre de recherches en éducation franco-ontarienne (CREFO), Emmanuelle Le Pichon.

Diverses façons de parler français seront classées à différents niveaux, souligne-t-elle.

C'est la question de qui parle bien et qui parle mal, ce qui nous mène à la question de la norme qui est véhiculée par un certain nombre de groupes sociaux : particulièrement l'État et l'institution scolaire, précise la professeure.

Le directeur artistique Anton Garneau, lui, a grandi à Toronto d'un père québécois et d'une mère anglophone francophile.

Il a d'abord étudié en français jusqu'à l'université, où il a décidé de poursuivre ses études en anglais.

J'ai un accent que les gens n'arrivent pas à placer. Le mien quoi.

Anton Garneau, résident de Toronto

Mon accent était un peu québécois au début et quand je suis allé au lycée, il s'est transformé en français, raconte Anton Garneau.

Anton Garneau ne parle pas français tous les jours, mais il utilise parfois la langue de Molière avec des collègues, des clients et des amis.

Il trouve que son français est bien parlé, mais il manque parfois de confiance quand il s'exprime en français au travail.

Ses expériences d'insécurité linguistique se limitent aux situations professionnelles où il pourrait faire usage de son français, mais où il n'ose pas.

Je me sens plus soucieux de parler en français juste parce que j'ai envie d'utiliser les bons termes.

Anton Garneau, résident de Toronto

Des fois, je manque un peu de vocabulaire technique, d'expressions ou de mots pour être très succinct, explique Anton Garneau.

C'est vraiment le seul moment où je suis shy de parler en français, affirme le Torontois.

Pour s'exprimer clairement, Anton Garneau préfère donc parler anglais, puisque c'est plus facile et plus vite pour lui.

Discrimination de la langue parlée

L'insécurité linguistique, c'est la peur de ne pas être compris, de ne pas bien formuler, d'être jugé, d'être exclu et d'être rejeté, explique Mme Le Pichon.

Beaucoup d'élèves [...] ont été découragés de parler ou d'écrire en français [en raison] de remarques désobligeantes reçues dans le cadre de l'institution scolaire.

Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO

L'insécurité linguistique se manifeste de plusieurs façons : un mutisme, un changement de langue, l'impression d'être idiot, se sentir bête, avoir l'impression de ne pas être légitime et le silence, note-t-elle.

Inclusion et diversité

L'insécurité linguistique est très dangereuse, ajoute Emmanuelle Le Pichon, qui s'inquiète de l'exclusion de certains francophones.

Ce sont les attitudes vis-à-vis de la langue et des personnes qui la parlent, peu importe la manière, qui devront changer pour lutter contre cette insécurité linguistique, estime-t-elle.

L'une des façons de combattre cette peur ou cette anxiété est la célébration de la diversité de la langue française au sein des écoles, par exemple.

[On doit souligner] la valeur de la diversité en célébrant les accents, les patrimoines langagiers riches et divers, précise l'experte.

En Ontario francophone, nous avons cette richesse de la diversité.

Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO

Elle rappelle aussi que la langue est en constante évolution.

La professeure soutient qu'il faudra être ouvert sur le monde et choisir de célébrer la différence plutôt que de juger les autres.

C'est normal de ne pas se sentir à l'aise, mais en même temps, on doit faire l'effort de parler la langue [puisque] tout le monde a un accent qui lui appartient, lance Koubra Haggar.

Anton Garneau croit pour sa part qu'il ne faut pas avoir peur de se planter.

Commencez à parler avec des amis dans le cadre d'interactions sociales avant de vous plonger [dans l'utilisation] du français au travail, conseille-t-il.