Un article écrit par Rania Massoud

Une cible d’immigration francophone « plus agressive » pour sauver le français du déclin?

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Une étude de l’Institut national de la recherche scientifique souligne que le français est en déclin partout au Canada.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
Une étude de l’Institut national de la recherche scientifique souligne que le français est en déclin partout au Canada.

Le déclin du français au Canada est une réalité, mais est-il inévitable? C’est sous ce thème qu’une dizaine de personnalités de partout au pays, qui ont le français à coeur, étaient rassemblées vendredi soir à Dieppe, au Nouveau-Brunswick, dans le cadre d’une émission spéciale de 24●60. Pour inverser cette tendance, une solution fait l'unanimité : attirer un plus grand nombre d’immigrants francophones dans tout le pays.

Les derniers chiffres de Statistique Canada le démontrent : le taux de personnes pour qui le français est la première langue officielle dans le pays a baissé au cours des 20 dernières années, passant de 23,6 % à 21,4 %.

La baisse est palpable partout au Canada, sauf au Yukon, où le taux de francophones a augmenté de 1,5 % entre 2001 et 2021.

Pour expliquer cette exception, Marguerite Tölgyesi, présidente de la Fédération de la jeunesse canadienne-française, qui réside au Yukon, affirme sans détour : C’est l’immigration francophone!

On reçoit énormément de francophones d’un peu partout dans le pays et d’ailleurs dans le monde. La communauté franco-yukonnaise est très accueillante. Lorsqu’il y a une nouvelle famille, on le sait tous et on se mobilise pour bien l'installer.

Marguerite Tölgyesi, présidente de la Fédération de la jeunesse canadienne-française

Au Yukon, c’est certainement une bataille qu’on vit encore, mais quand on voit ces chiffres, ça donne espoir, a dit la jeune militante.

Marie-Claude Rioux est une Acadienne de la Nouvelle-Écosse qui milite elle aussi pour la protection de la langue française au Canada. Selon elle, le déclin n’est pas inévitable.

Moi, je suis porteuse d’espoir. Je vois le nombre de francophones augmenter même si leur taux diminue, car l’immigration anglophone est beaucoup plus nombreuse et on travaille pour contrer ça, a-t-elle affirmé. On veut récupérer plus de francophones, c’est essentiel. C’est aussi un enjeu électoral. On a encore beaucoup de travail à faire.

« Un projet de société »

C’est le poids démographique qui est le plus inquiétant, a renchérit Michelle Landry, directrice de la Chaire de recherche sur les minorités francophones canadiennes à l’Université de Moncton.

Les chiffres [de Statistique Canada] sont quand même assez stables et on sait qu’on a déjà inversé des tendances par le passé, comme au Québec avec la loi 101, ou à l’extérieur du Québec avec la Charte canadienne des droits et libertés […] On sait que ça a eu un impact, a-t-elle précisé.

Le déclin du français n’est pas inévitable, mais il faut vraiment miser sur les piliers qui sont les plus structurants, comme la petite enfance, les écoles et l’immigration. C’est un projet de société.

Michelle Landry, directrice de la Chaire de recherche sur les minorités francophones canadiennes à l’Université de Moncton

En 2022, le Canada a atteint pour la première fois sa cible d’immigration francophone hors Québec, fixée à 4,4 %, ce qui représente environ 16 300 nouveaux arrivants francophones installés à l’extérieur de la Belle Province.

En 2006, on comptait 2800 admissions d'immigrants francophones à l’extérieur du Québec, ce qui représentait seulement 1,38 % des personnes admises.

« Allons chercher les francophones »

Pour Ibrahima Diallo, professeur titulaire en microbiologie à l’Université de Saint-Boniface et ancien président de la Société de la francophonie manitobaine, ce chiffre est clairement au-dessous des besoins. Selon lui, au Manitoba, toutes les communautés culturelles sont en expansion, sauf les francophones.

Comment voulez-vous qu’on continue? a-t-il demandé, allant jusqu’à réclamer un Plan Marshall pour sauver le français au Canada, en référence à celui que les États-Unis avaient mis en place pour reconstruire l'Europe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Il faut qu’on s’occupe de l’immigration francophone. Allons chercher les francophones là où ils se trouvent à travers le monde, a-t-il encore plaidé.

Pour ce faire, le Canada a besoin d’une cible d’immigration francophone encore plus agressive, a lancé Liane Roy, présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, qui représente environ 2,8 millions de personnes.

Selon elle, avec la nouvelle mouture de la Loi sur les langues officielles, le projet de loi C-13 qui est encore en examen, on pourrait peut-être stopper le déclin du français.

La réforme de cette loi avait été promise en 2021 avant d’être déboutée, puis à nouveau déposée en 2022 par la ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor. Lors de son dépôt, la ministre a insisté sur le fait que son projet donne plus de mordant à la loi actuelle.

Pour Mme Roy, il faut avoir de bonnes cibles qui vont augmenter le poids démographique actuel des francophones au pays. Son organisme a produit une étude il y a un an pour déterminer quelle cible serait nécessaire pour freiner le déclin du français au Canada : On recommande 12 % en 2024. C’est une cible progressive pour arriver à 20 % en 2036.

« Du concret »

Invitée à l’émission, la ministre Petitpas Taylor a confirmé vendredi que le déclin du français est partout, même au Québec.

Nous sommes le premier gouvernement à reconnaître ce déclin et nous devons avoir des stratégies ambitieuses pour inverser [la tendance], d’où ce projet de loi, a-t-elle assuré.

Moi qui habite en Acadie, une communauté de langue officielle en situation minoritaire, je connais l’importance de cette loi et de sa nouvelle mouture pour nos communautés. C’est important d’aller de l’avant et de faire en sorte qu’elle soit adoptée plus tôt que tard.

Ginette Petitpas Taylor, ministre des Langues officielles

La ministre a souligné l’importance d’une stratégie d’immigration francophone pour freiner le déclin du français au Canada. C’est sûr que l’immigration est une composante importante [du projet de loi], c’est sûr qu’on va aller de l’avant avec ça, a-t-elle dit, sans indiquer si la cible allait changer ou pas.

Elle rappelle également que la nouvelle loi va garantir des droits fondamentaux, comme l’accès à la justice.

Des initiatives comme ça, c’est du concret. Et, oui, le gouvernement fédéral est sérieux, a-t-elle encore affirmé. Avec la nouvelle loi, on veut s’assurer que toutes les décisions qui sont prises par le gouvernement fédéral [passent par] une lentille pour évaluer l’impact de ces décisions sur nos communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Le 7 mars, le Comité permanent des langues officielles a voté, à six contre cinq, pour ajouter six heures et demie de discussions sur les amendements proposés à la loi. Les conservateurs et le Bloc québécois en auraient voulu davantage, entre autres pour débattre de l'article 54 sur l'usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale. La séance a été ajournée avant la fin des échanges autour de ce prolongement des discussions.

Une fois les travaux parlementaires terminés, le projet de loi C-13 sera étudié par le Comité sénatorial aux langues officielles.