Un article écrit par Radio-Canada

Le combat d’une Ontarienne contre les crimes sexuels

Société > Engagement communautaire

L’organisme Sisters in Sync, qui milite pour un meilleur accès à la justice pour les femmes noires victimes de crimes sexuels et haineux, tenait une conférence samedi à Hamilton pour aborder cette question des violences, à l'heure où la ville se situe au septième rang des villes canadiennes en matière de crimes haineux, selon Statistique Canada.

Cette rencontre était organisée 10 ans après le viol dont aurait été victime la fondatrice de l’organisme, Joelle Kabisoso, résidente de Hamilton et originaire du Congo. Aujourd’hui, la jeune femme de 27 ans se bat pour mettre en lumière les difficultés d’accès à la justice pour les filles et les femmes noires lorsqu'elles signalent leur agression.

Son traumatisme, Joelle Kabisoso le raconte désormais ouvertement, après l’avoir gardé sous silence pendant cinq ans.

Il y a 10 ans, lors d’un voyage avec des copines en mars 2013, sa vie a basculé dans une chambre d'hôtel de Montréal. Joelle Kabisoso raconte qu'au cours d’une soirée arrosée, elle a été droguée puis violée par cinq garçons. La jeune femme dit s’être réveillée le lendemain avec des cicatrices sur le corps, sans comprendre ce qui lui était arrivé dans la nuit. Une question restée sans réponse jusqu'à ce qu'elle découvre une publication sur les réseaux sociaux.

Sur la page Twitter d’un des garçons, j'ai trouvé une vidéo de moi, j’étais torse nu.

Joelle Kabisoso

Joelle Kabisoso ajoute que cette publication était accompagnée de commentaires insultants. J’ai trouvé un tweet qui disait : "Quatre petits singes assis sur un lit. Deux ont été violés et un a saigné.”

Après avoir insisté pour connaître la vérité, une de ses amies à l'école lui a finalement raconté ce qui s'était passé. Elle m’a dit : "Ce groupe de garçons là, ils sont connus pour aller aux fêtes et pour droguer des filles, alors je pense que c’est ce qu'il t’est arrivé.”

Joelle Kabisoso a donc appelé la police, et des agents sont venus dans son école pour s'entretenir avec elle. Mais les policiers ne lui ont pas offert les ressources dont elle avait besoin, assure-t-elle.

La police a dit que je pouvais porter plainte, mais que si je le faisais, [les garçons] allaient être enregistrés en tant que délinquants sexuels, et cela détruirait leur vie [...] alors c'est quelque chose qu'il faut vraiment considérer, relate-t-elle.

Mme Kabisoso ajoute que la police a proposé de transférer le dossier à Montréal, là où les choses se sont passées, pour mener une enquête.

Ce que je peux suggérer, c'est que la prochaine fois, tu ne boives pas trop.

Joelle Kabisoso, citant la police

Non seulement les garçons disent que j’ai voulu ceci, mais maintenant, la police me dit indirectement que la raison pour laquelle j'ai été violée, c'est parce que j'avais trop bu, se désole-t-elle.

J’ai dû les supplier pour qu’ils comprennent que ce n'était pas un choix.

Joelle Kabisoso

Cinq ans après les faits, en 2018, la jeune femme a décidé de rouvrir le dossier pour consulter sa déposition.

J’ai été étonnée de ce que j'ai vu, surtout du fait que le policier avait mis que j’étais contente avec la résolution et que je ne voulais pas continuer avec le cas, déplore Mme Kabisoso, qui ajoute que son dossier indiquait qu’il y avait un potentiel [pour] que ce soit un crime haineux.

Mais, dans ce cas, ne devrait-il pas y avoir plus d'actions?

Joelle Kabisoso

Alors que ce témoignage soulève des questions, la police de Hamilton affirme être en train de créer une équipe d'examen des cas de crimes haineux afin d'assurer les meilleures réponses.

L’agente d’information publique du Service de police de Hamilton, Krista-Lee Ernst, précise que ce groupe, qui sera le premier du genre au Canada, a pour but de travailler en collaboration avec la population afin d’examiner les cas, en plus de fournir des recommandations et conseils ainsi que des formations pour soutenir les victimes de crimes haineux.

Elle ajoute qu’il existe déjà un service de soutien aux victimes qui fonctionne 24 heures sur 24 pour les victimes de crimes dans des circonstances tragiques comme les homicides, les suicides, les violences domestiques, les agressions, notamment sexuelles, et le trafic humain.

En 2020, le service de police de la Ville a enregistré 80 incidents à caractère haineux.

La directrice du Centre sur la haine, les préjugés et l’extrémisme de l’Université Ontario Tech, Barbara Perry, explique ce phénomène par l'extrémisme politique, entre autres.

Hamilton est une ville où nous voyons un bon nombre d’activités dans les milieux d'extrême droite, et cela influence l'attitude de certains [résidents] qui peuvent être sympathisants [...] et qui montrent aussi une certaine hostilité envers les immigrants, dit-elle en soulignant la présence de diverses communautés culturelles dans la région.

Elle cite en particulier la violence envers les Noirs et la violence raciale qui sont les plus communes, mais aussi la violence contre des groupes religieux ou la communauté queer.

Mme Perry note toutefois des progrès, notamment en ce qui concerne la formation des policiers en Ontario, qui sont donc plus disposés à identifier les crimes haineux et à enquêter là-dessus.

Selon Barbara Perry, tous les secteurs de la société ont un rôle à jouer dans la lutte contre les crimes haineux : le gouvernement pour soutenir et financer [les actions de lutte], l'éducation pour casser les stéréotypes, la santé publique, la santé mentale, ainsi que les médias pour sensibiliser à ce fléau.

Avec les informations d’Andréane Williams