En arrivant de Hong Kong, le rêve des parents de Laura Lam était qu’elle aille à l’université pour accéder aux mêmes emplois et salaires que les Canadiens.
Mes parents m'ont toujours encouragé à faire mes études pour me garantir un emploi bien rémunéré. C'était toujours le message qu'ils voulaient transmettre
, raconte Laura Lam, une chercheuse à la Chaire d'excellence en recherche du Canada sur la migration et l'intégration.
Même si le rêve de ses parents est devenu une réalité lorsqu'elle et son frère ont fait leurs études postsecondaires, ce n’est pas le cas pour tous les immigrants.
Une nouvelle étude de l'Université métropolitaine de Toronto révèle que le rêve canadien reste inaccessible à certains Canadiens racialisés de la deuxième génération, nés depuis les années 1960, bien qu'ils aient un niveau d'éducation plus élevé que leurs homologues blancs.
L'étude révèle que le niveau de scolarité et les revenus d'emploi ne sont pas uniformes parmi les groupes de Canadiens racialisés de la deuxième génération, certains groupes connaissant des disparités plus importantes que la moyenne générale.
C’est étonnant. Je pense que plusieurs immigrants vont maintenant croire que leurs enfants n’auront jamais les mêmes opportunités que les Canadiens.
Disparités ethniques
Autre révélation de l'étude : certaines communautés marginalisées évoluent mieux que d’autres.
C'est la tendance la plus inquiétante, que les cohortes de naissances les plus récentes souffrent davantage dans certaines communautés
, croit Rupa Banerjee, de la Chaire de recherche du Canada sur l'inclusion économique, l'emploi et l'entrepreneuriat des immigrants du Canada et coautrice de l'étude.
Selon elle, les principales conclusions de l'étude sont :
- Les communautés d'origine chinoises et sud-asiatiques ont maintenu des niveaux d'éducation élevés, tandis que les Noirs et, dans une certaine mesure, les Philippins et les Latino-Américains, affichent des tendances à la baisse d'une cohorte à l'autre.
- Malgré une proportion plus élevée de personnes de la deuxième génération titulaires d'un diplôme universitaire, les revenus étaient inférieurs pour la plupart des groupes par rapport à la population générale, avec des baisses prononcées observées au fil du temps chez les hommes et les femmes noirs de la deuxième génération.
- L'évolution des caractéristiques des parents immigrants n'explique pas entièrement ces tendances, ce qui soulève des questions sur les processus d'intégration à long terme au sein des différentes minorités ethnoraciales au Canada.
En vertu de ces résultats, Mme Banerjee croit que le rêve canadien échoue pour certaines communautés. Cet échec, selon elle, a des répercussions très sérieuses et significatives pour les personnes et pour la société en général.
Les gens qui réalisent qu’ils ne pourront pas atteindre leur plein potentiel choisiront de partir. Nous allons perdre les plus brillants.
Méthodologie
Les chercheurs de l’étude Is the Canadian dream broken? Recent trends in equality of opportunity for the racialized second generation ont utilisé des données du recensement de 1981,1991, 2001 et 2021 et les données de l’Enquête nationale pour l'année 2011.
Ils ont examiné le niveau d'études et les revenus du travail de trois cohortes de naissance successives de 10 ans
de Canadiens de la deuxième génération des années 1966-1975, 1976-1985 et 1986-1995.
Les progrès de cinq groupes racisés, les Asiatiques du Sud, les Chinois, les Noirs, les Philippins et les Latino-Américains ont été comparés aux Canadiens blancs de la troisième génération et des générations suivantes.
Manque de ressources dans certains quartiers
Le milieu dans lequel grandit l'enfant d’un immigrant et les ressources qui sont à sa disposition pourraient avoir une incidence sur sa rémunération future, soupçonne Rupa Banerjee.
Selon elle, les quartiers à forte concentration ethnique manquent souvent de ressources, nuisant à leur évolution.
Il y a un manque d’investissement dans les infrastructures publiques, comme des bibliothèques ou des programmes d'activités parascolaires, situées dans ces quartiers, ce qui empêche les jeunes d’y avoir accès
, souligne Mme Banerjee.
Cette pénurie de ressources peut aussi mener à un racisme internalisé
, poursuit-elle. La chercheuse affirme que, dans certains cas, les communautés ne se sentent pas dignes d’un soutien et finissent par accepter qu’ils aient moins d’opportunités que les Canadiens blancs.
Racisme sur le marché du travail
Surranna Sandy est la présidente-directrice générale de l'organisme à but non lucratif Skills for Change, qui aide des nouveaux arrivants et des membres de communautés marginalisées à trouver un emploi dans le Grand Toronto.
Elle croit que le racisme en matière d'emploi est aussi un enjeu qui touche particulièrement la communauté noire.
Plusieurs jeunes diplômés noirs n'ont pas forcément le même réseau que les Canadiens, et les employeurs doutent souvent de leurs capacités en fonction des stéréotypes préexistants.
Même son de cloche pour Laura Lam. En grandissant dans un quartier majoritairement blanc, elle voulait toujours parler avec un accent nord-américain parce qu'elle pensait véritablement que ça augmenterait ses chances d'obtenir un emploi.
C'est une forme de discrimination subtile que les immigrés de la deuxième génération ressentent. C'est une pression qu'on nous impose, de nous conformer à un certain moule.
Selon Surranna Sandy, les employeurs doivent non seulement embaucher davantage de personnes issues de minorités, mais aussi leur offrir des opportunités de mentorat, des possibilités d'avancement et des mécanismes pour porter plainte en cas de microagressions sans peur de représailles.
Le travail n'est pas fini après l'embauche d'une personne issue d'une communauté minoritaire. Il faut créer un environnement propice à son succès.
Néanmoins, Laura Lam est satisfaite de l'environnement d'apprentissage établi par la communauté à l'Université de Toronto, où elle fait maintenant son doctorat. Elle espère que l'étude sera un détonateur pour les employeurs afin qu'ils changent leurs façons d'embaucher et permettent que d'autres immigrants de deuxième génération aient les mêmes opportunités.
Nous accueillons tellement d'immigrants, mais nous ne faisons pas notre part pour réduire la discrimination à laquelle ils font face. Le système doit changer
, affirme-t-elle.