Un article écrit par Vincent Rességuier

« C’est dur d’élever un enfant à l’heure actuelle »

Société > Démographie

Olivia, 18 ans, n'a pas assez confiance en l'avenir pour envisager d'avoir des enfants.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
Olivia, 18 ans, n'a pas assez confiance en l'avenir pour envisager d'avoir des enfants.

Au Québec, le taux de fécondité s'est établi à 1,49 enfant par femme en 2022. C'est la première fois qu'il passe en dessous de 1,5 depuis 20 ans. Il est de 1,33 au Canada. Plusieurs facteurs semblent expliquer ce creux historique.

Olivia l'admet sans ambages, avoir des enfants ne l’intéresse pas, en grande partie à cause de « l’avenir incertain » et de l’état chaotique du monde. En prenant d'un coup un air préoccupé, la jeune femme cite pêle-mêle la Palestine, les réseaux sociaux qui rendent les gens insensibles, le contexte social tendu ou encore les relations entre les jeunes.

Ça ne me tente pas d’avoir des enfants qui vont grandir dans cette société, confie-t-elle, c’est dur d’élever un enfant à l’heure actuelle.

Même sentiment pour Nine, une étudiante en sciences politiques, qui trouve la vie de plus en plus anxiogène. Les guerres, comme en Ukraine et au Moyen-Orient, ainsi que les questions climatiques sont au cœur de ses préoccupations. Ne pas faire d'enfant est un plus pour l'environnement, assure-t-elle, mais c’est aussi pour ne pas les confronter au monde actuel qui fait peur.

La sociologue Sophie Mathieu n'est pas surprise par de tels propos, même si elle demeure prudente. On entend beaucoup dans le discours des jeunes les questions de la surpopulation et de l’environnement, dit-elle, mais à ma connaissance, cela n'a pas été vraiment théorisé en termes d'effets directs sur la fécondité. En revanche, dit-elle, il est courant que les périodes d'incertitude aient un effet négatif sur les naissances.

Dans un sondage réalisé l'été dernier par la firme Léger auprès de 3015 Canadiens de 15 à 39 ans, 38 % des répondants ont répondu qu’ils ne veulent pas d'enfant. Un quart d’entre eux évoquent la crise climatique et un autre quart leur situation financière.

Inflation et crise du logement

Selon Mme Mathieu, le contexte économique a une réelle incidence sur le nombre de naissances, qui a par exemple connu un déclin spectaculaire après la Grande Dépression de 1929. Dans le contexte actuel d’inflation et de crise du logement, des couples pourraient remettre leur projet de parentalité à plus tard.

La fécondité des sociétés suit habituellement les cycles économiques.

Sophie Mathieu, spécialiste des programmes à l'Institut Vanier de la famille.

Sensibles eux aussi à la crise climatique, Chloé et Alexis, ensemble depuis trois ans, mettent de l’avant l’incertitude économique. S’ils n’écartent pas la possibilité d'avoir des enfants, chose certaine, ce ne sera pas dans un avenir proche.

Je ne suis pas sûr qu’un simple emploi nous permette d'accueillir un enfant, concède le jeune professionnel de 25 ans. Sa conjointe de 23 ans souligne qu’en raison des prix de l’immobilier, il leur serait difficile de payer un appartement assez grand pour accueillir un nouveau-né.

Pas étonnant, selon Sophie Mathieu, puisque la dépense la plus importante n'est pas le prix du lait et des couches, mais c'est le prix de la maison.

Une donnée qui fait partie de l’équation pour Raphaëlle et Jonathan, un couple soudé de jeunes professionnels épanouis. Ils approchent tranquillement de la trentaine, mais pour eux, pas question d'avoir des enfants. Ni maintenant ni plus tard.

Jonathan assure que leur situation financière est favorable à l’arrivée d’un nouveau-né et qu'il serait toutefois très difficile d’acheter un logement aux dimensions adéquates.

Mais ce n’est pas le paramètre déterminant. Leurs projets et leur équilibre personnel sont prioritaires, explique le jeune homme. La parentalité entre en concurrence avec ces variables. C'est surtout la perte de liberté, précise-t-il, on parle souvent de travail à l'étranger ou de voyager un peu plus.

Un choix de vie partagé par bien des jeunes couples et qui explique en partie le recul de l’âge moyen des Canadiennes pour un premier accouchement qui est passé de 27,9 ans en 1992 à 31,6 ans en 2022.

Conciliation emploi-famille

Pour sa conjointe Raphaëlle, l’élément principal est la charge mentale. Elle redoute d’entrer dans un constant état de stress lié à la gestion des repas, des activités et de l'école. Bref, de tout ce qui vient avec les enfants.

Rien d’étonnant là non plus, selon Sophie Mathieu, parce que la conciliation emploi-famille est un facteur déterminant dans les pays industrialisés. En particulier pour les femmes qui ont tendance à assumer davantage de responsabilités parentales. Dans les contextes moins favorables, de nombreuses mères sont par exemple découragées d'avoir un deuxième enfant.

Des propos qui font écho à la situation d’Aura, une mère monoparentale dans la jeune trentaine. Elle a un fils de 15 ans et elle n'a jamais voulu d'autre enfant. À la naissance de son fils, elle venait juste d'immigrer au Québec. Elle a dû mener de front sa maternité avec sa carrière professionnelle et des études, notamment en francisation.

J'aurais aimé avoir plus de soutien et de compréhension de la société en général, affirme-t-elle. Elle aurait par exemple souhaité avoir des horaires de travail plus flexibles ou encore bénéficier de plus de souplesse pour les rencontres avec les enseignants de sa progéniture.

Sophie Mathieu note que dans les pays où la conciliation emploi-famille est la moins compliquée, comme en Suède, la fécondité ne chute pas autant.

Ce sont des contextes où les femmes ne portent pas tout le fardeau des tâches et des soins. Il y a un meilleur partage entre la maman, le papa, d'autres membres de la famille ou des services de garde. Les milieux de travail offrent aussi plus de flexibilité aux parents et les femmes sont moins pénalisées par les interruptions de carrière pour cause de maternité.

Il faut continuer à travailler pour soulager les mamans en leur offrant des mesures de conciliation et en soutenant les employeurs qui veulent apporter des mesures de plus grande flexibilité.

Sophie Mathieu, sociologue

À ce chapitre, le Québec fait office de bon élève avec son réseau de services de garde à la petite enfance et ses généreux congés parentaux. Des politiques qui semblent porter fruit puisque la province maintient un niveau de fécondité parmi les plus élevés au pays depuis une vingtaine d'années. À l'inverse, la Colombie-Britannique (1,11 en 2022) et la Nouvelle-Écosse (1,18 en 2022) se situent en queue de peloton.

Le taux de fécondité au Canada s'est établi à 1,33 enfant par femme l'an dernier. C'est le plus bas jamais enregistré depuis 1921, soit depuis que Statistique Canada tient des données à ce sujet.

Tourner la page de la pandémie

Cependant, en Suède et au Québec, la fécondité atteint des niveaux planchers, comme dans la plupart des pays industrialisés où l’emploi des femmes est devenu la norme au cours du 20e siècle. Le déclin des naissances a généralement été accentué par la légalisation de la contraception.

En 1972, le Canada est passé en dessous du seuil de renouvellement des générations, soit 2,1 enfants par femme. Malgré quelques subtiles variations, le taux de fécondité n’est jamais remonté au-dessus.

Sophie Mathieu estime qu’un rebond est possible dans les prochaines années, s'il n'y a pas d'autres crises et une fois que la page de la COVID-19 aura été définitivement tournée.

Il faudrait un bon contexte économique, un bon contexte social, pas de crise sanitaire et on aurait les conditions optimales pour une légère hausse de la fécondité, conclut-elle.

Une enquête de Statistique Canada, en 2021, a montré que 24 % des personnes âgées de 15 à 49 ans ont retardé leur projet d’avoir des enfants en raison de la pandémie.