Un article écrit par Radio-Canada

Le rédacteur en chef du Monde diplomatique s’interroge sur l’avenir des médias

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Selon Benoît Bréville, le public a pris goût à la gratuité et est de moins en moins enclin à payer pour obtenir de l'information.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
Selon Benoît Bréville, le public a pris goût à la gratuité et est de moins en moins enclin à payer pour obtenir de l'information.

Les médias ont encore un avenir, mais à quoi ressemblera-t-il? C’est la question que se pose le rédacteur en chef de la revue Le Monde diplomatique, Benoît Bréville, qui était de passage à Montréal dimanche.

Le journaliste français, qui a étudié l'histoire à l'UQAM, a animé une table ronde en compagnie d'Éric-Pierre Champagne, président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, sur l'avenir des médias. Et leur analyse de la situation est peu réjouissante.

Les médias québécois et mondiaux sont ballottés en tous sens depuis quelques années, les pieds pris dans le tapis d'une crise aux multiples visages. De ce côté-ci de l'océan, le bras de fer avec les GAFAM a révélé une dépendance croissante des médias canadiens et québécois à ces plateformes qui servaient de relais aux articles et reportages. Le temps a montré que les médias avaient plus besoin des grandes entreprises de la Silicon Valley que l'inverse.

De l’autre côté de l’Atlantique, un autre problème assombrit l'horizon. L'actualité qui agite le Proche-Orient depuis quelques mois révèle une partialité des médias de nos cousins français, autre visage de la crise des fournisseurs de contenu. Tout est lié par un problème de fond : l'argent.

Les 15 dernières années ont installé de mauvaises pratiques chez les lecteurs, notamment celle de l'information gratuite, et des mauvaises pratiques chez les journaux, qui se sont mis à produire de l'information au rabais.

Benoît Bréville, rédacteur en chef de la revue Le Monde diplomatique

Chronique ou article?

D'une certaine manière, le Québec préfigure de ce que peuvent devenir des médias avec très peu de moyens [...] et on peut voir qu'il y a une gradation dans la dégradation, observe le journaliste français.

M. Bréville constate comment le manque de moyen peut diminuer la qualité de l'information. Ce qu'il voit de plus en plus, à son grand regret, c'est ce qu'il appelle du commentaire de l'actualité, de la tribune.

En d'autres termes, des textes qui ne produisent pas de l'information nouvelle ne sont pas nécessairement écrits par des journalistes, ni pour autant par des experts de la question, qui ne nécessitent pas une sortie sur le terrain et surtout, qui ne coûtent pas cher à produire.

C'est le modèle américain et ses chaînes d'information en continu qui ont gagné les petits écrans du monde entier. Une conception de l'information comme un produit qui doit être rentable et non comme un service indispensable, explique-t-il.

À ce sujet, Éric-Pierre Champagne ajoute un souci qui n’est pas lié aux coûts, mais au public. Celui-ci, indique-t-il, ne voit pas forcément la différence entre les divers contenus, dont la frontière visuelle arbore un marquage bien flou, et fait l'amalgame entre un article journalistique et une chronique, entre des faits et une opinion.

C'est une autre couche de confusion. Je pense qu'on surestime la capacité du public. La différence n'est pas aussi claire qu'on le pense.

Éric-Pierre Champagne, président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec

Journalisme à deux vitesses

À cette confusion, en place depuis déjà longtemps, s'ajoute plus récemment celle des créations de l'IA.

Il y a encore de la marge avant de lire un reportage de ChatGPT sur la question du logement dans les pages du Devoir ou du Journal de Montréal, mais son apparition dans les rédactions renforce la spirale de la réduction des coûts de production de l'information. Plus besoin, un jour, d'humains pour reprendre une dépêche d'agence ou pour commenter un match, l'IA le fera toujours plus rapidement et pour un coût dérisoire.

Éric-Pierre Champagne et Benoît Bréville entrevoient un futur avec un journalisme à deux vitesses : d'un côté, les informations à bas coût produites par les IA, et de l'autre les informations, plus rares, fournies par de grands reporters, des journalistes de terrain, mais qui sont trop chères à produire pour être accessibles à toutes les franges de la population.

Tout ça alimente un cercle vicieux lancé par les premiers sites Internet d'information, explique le rédacteur en chef du Monde diplomatique. Les médias ont proposé de l'information gratuite en ligne en pensant jouer sur un effet de marque qui inciterait le public à acheter ensuite leur journal.

Cependant, ajoute-t-il, le public a pris goût à la gratuité et, en toute logique, est de moins en moins enclin à payer pour obtenir de l'information. Cela fait baisser les revenus des médias. C'est ce qui explique, dit-il, l'apparition de murs payants sur les sites de journaux. Mais pour survivre à cette baisse de revenus, les médias ont dû réduire leurs frais, engendrant de l'information au rabais dont la valeur ajoutée n'incite guère à payer pour l'obtenir.

L'information qui aide le public à mieux comprendre un monde de plus en plus complexe, c'est celle qui coûte le plus cher.

Éric-Pierre Champagne, président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec

Réinvestir dans les médias

Il faut donc réinvestir massivement dans l'information, concluent les deux journalistes, et produire de l'information de qualité, avec une haute valeur ajoutée qui saura redonner au public la confiance qu'il a perdue dans les médias.

Une vaste tâche étant donné le niveau de confiance actuel. Selon le dernier sondage en la matière du Reuters Institute for Study of Journalism, le degré de confiance des Québécois dans leurs médias est de 54 %. Un taux à peine au-dessus de la moyenne qui est pourtant le plus élevé des 46 pays sondés.

Ironiquement, les deux hommes voient dans cette perte de confiance un aspect positif. Parce que ça veut dire que les gens remettent en question l'information. Ils exercent leur esprit critique, conclut Benoît Bréville.