Un article écrit par Radio-Canada

Morts par surdose : des voix s’élèvent pour réclamer davantage d’autopsies

Santé > Drogues et stupéfiants

Gregory Sword aurait aimé qu'une autopsie soit pratiquée pour faire toute la lumière sur la mort de sa fille, âgée de 14 ans, survenue à Port Coquitlam.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
Gregory Sword aurait aimé qu'une autopsie soit pratiquée pour faire toute la lumière sur la mort de sa fille, âgée de 14 ans, survenue à Port Coquitlam.

En Colombie-Britannique, la grande majorité des décès par surdose ne font pas l'objet d'une autopsie. Des voix s’élèvent pour dire que le Bureau des coroners de la province (BCCS) passe ainsi à côté d'informations importantes.

Pendant plus d'un an, Greg Sword a attendu de connaître la cause officielle de la mort de sa fille Kamilah, âgée de 14 ans. Le corps de l'adolescente avait été retrouvé dans sa chambre à Port Coquitlam, au cours de l'été 2022. Sa mort semble être due à une surdose.

Je pensais qu'ils allaient faire une autopsie, mais, non, ils se sont contentés d'un rapport toxicologique, déplore Greg Sword.

Quatorze mois après sa mort, il a finalement reçu le rapport toxicologique du coroner. Celui-ci conclut que la mort de l'adolescente a été causée par la consommation de cocaïne et de MDMA, bien que d'autres drogues aient été retrouvées dans son corps, notamment de l'hydromorphone - un médicament prescrit dans le cadre du programme d’approvisionnement plus sécuritaire de la Colombie-Britannique.

Ces conclusions laissent Greg Sword dubitatif. Il explique que les amis de Kamilah lui ont dit que cette dernière cherchait à se procurer de l'hydromorphone la nuit où elle est morte.

Il pense que c'est cette substance qui a tué sa fille et se demande si une autopsie n'aurait pas permis d’aboutir à cette conclusion.

Un scandale

En Colombie-Britannique, le taux d'autopsie est l'un des plus bas du pays, selon Statistique Canada. Des médecins légistes affirment que cela pose un problème lorsqu'il faut définir les principales tendances en matière de santé publique.

Le faible taux d'autopsie est un scandale, juge Matthew Orde, un médecin légiste albertain qui travaillait auparavant au BCCS. Cela signifie que nous sommes incapables d'identifier comment et pourquoi nos proches sont morts.

Dans son rapport sur la mort de Kamilah, par exemple, le coroner Dean Campbell écrit que l'adolescente est morte d'une arythmie cardiaque consécutive à la consommation de cocaïne et de MDMA. Il est peu probable que les autres drogues détectées aient joué un rôle dans son décès.

Matthew Orde conteste cette conclusion. Les résultats de l'autopsie permettent de définir un contexte. Or, sans celui-ci, il est difficile de savoir quelle est la cause du décès, explique le médecin légiste.

Pour moi, la cause de la mort de Kamilah Sword est indéterminée, ajoute-t-il.

Le Bureau des coroners de la Colombie-Britannique indique que 85 % des décès par surdose ne font pas l'objet d'une autopsie.

Si on pense qu'un décès a été causé par des drogues non réglementées sur la base d'un examen approfondi de la scène, du corps et des antécédents médicaux de la personne, et que les résultats toxicologiques accélérés confirment la présence d'une quantité potentiellement mortelle de drogues, le coroner peut envisager de renoncer à une autopsie, explique Ryan Panton, le porte-parole du BCCS.

L’un des taux les plus bas du pays

Selon Statistique Canada, le taux d'autopsie en Colombie-Britannique est passé de 22 % en 1991 à 3,2 % en 2022. Parmi les provinces qui comptent plus de 1 million d’habitants, la Colombie-Britannique a le taux d’autopsie le plus bas, après le Québec.

En Colombie-Britannique, tous les décès ne nécessitent pas d'enquête. Le BCCS est cependant tenu d'enquêter sur tous les décès non naturels, soudains et inattendus, inexpliqués ou passés inaperçus.

Pour les décès sur lesquels il est appelé à enquêter, le taux d'autopsie au BCCS est passé de 50 % en 2010 à 29 % en 2023.

Le BCCS explique cette baisse par l'augmentation du nombre de décès par surdose dans la province.

Plus de morts par surdose en Colombie-Britannique qu’ailleurs

Le nombre de décès liés à des drogues non réglementées est beaucoup plus élevé en Colombie-Britannique que dans la plupart des autres provinces, affirme Ryan Panton.

Plusieurs provinces dépassent la Colombie-Britannique en ce qui a trait au taux d'autopsie et au nombre total d'autopsies pratiquées. C’est notamment le cas de l'Alberta. Malgré une population plus faible et un nombre total de décès moins élevé, elle a enregistré 3421 autopsies en 2022, soit près du double du nombre d'autopsies pratiquées en Colombie-Britannique.

L'Alberta, le Manitoba, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve-et-Labrador utilisent un système de médecins légistes plutôt qu'un service de coroners.

Bien que les deux systèmes enquêtent sur les décès, les médecins légistes sont des médecins, alors que les coroners de la Colombie-Britannique ne le sont pas.

En Colombie-Britannique, les coroners en chef ont une formation juridique et non médicale. Selon John Butt, les lacunes du BCCS sont imputables à sa direction non médicale.

Stigmatisation

Je suis prêt à parier que le problème, ici en Colombie-Britannique, est lié au fait qu’il y a des économies d’argent faites au détriment des autopsies, avance John Butt.

C’est absolument faux, a réagi Mike Farnworth, le ministre de la Sécurité publique et solliciteur général, en marge d’une conférence de presse portant sur un autre sujet. En fait, nous avons même augmenté le financement du Bureau des coroners à cause du nombre de morts liées à la crise des surdoses.

Les coroners sont indépendants et ils prennent leurs propres décisions. Ils utilisent largement les rapports toxicologiques dans cette province, c’est l’approche qu’ils ont choisi de prendre, a précisé Mike Farnworth.

Dans le système médical, que ce soit pour des autopsies ou autre chose, le manque d’argent ne peut jamais être un prétexte pour ne pas poser des gestes essentiels, prévient le Dr Brian Conway, directeur médical du centre des maladies infectieuses de Vancouver.

Il estime également que le faible taux des autopsies réalisées en cas de décès lié à des drogues non réglementées augmente la stigmatisation. Cela revient à dire qu’un consommateur de drogue n’est pas potentiellement digne d’une autopsie. Pour certaines familles, l’autopsie donnerait l’information qui les aiderait à gérer le deuil.

La Colombie-Britannique est actuellement à la recherche d'un coroner en chef permanent pour remplacer Lisa Lapointe. 

C’est l’Agence des services publics de la Colombie-Britannique qui s’en charge, a précisé Mike Farnworth. Ce recrutement n’est pas politique, et il n’est pas basé sur le choix de faire des autopsies ou non, ou sur des questions relatives aux coûts.

Avec les informations de Jon Hernandez, Chad Pawson et Dominique Lévesque