Un article écrit par Romain Schué

Pas de régularisation massive et historique de sans-papiers au Canada

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Les sans-papiers, qu'on retrouve souvent dans le domaine de la construction, ne devraient finalement pas bénéficier d'un programme de régularisation très large, comme ce fut un temps évoqué par le gouvernement Trudeau.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
Les sans-papiers, qu'on retrouve souvent dans le domaine de la construction, ne devraient finalement pas bénéficier d'un programme de régularisation très large, comme ce fut un temps évoqué par le gouvernement Trudeau.

Le climat politique moins propice à l’immigration et des dissensions au sein du Cabinet Trudeau ont fait évoluer les plans initiaux du gouvernement, qui a fait une croix sur son projet de régularisation massive, a appris Radio-Canada.

L’annonce devait être historique. Ce programme était même perçu, dans les couloirs du parlement, comme un futur legs de Justin Trudeau. Mais tout a changé.

Régulariser massivement des centaines de milliers de sans-papiers n’est désormais plus dans les plans du gouvernement libéral, selon les informations obtenues par Radio-Canada.

Le contexte et le climat politique ont changé, glisse une source fédérale proche du dossier.

Depuis quelques années, plusieurs ministres de l’Immigration planchent pourtant sur cette idée, proposée initialement par le premier ministre Trudeau. Si le nombre précis de sans-papiers au Canada reste méconnu, on parlait potentiellement d’un demi-million de personnes concernées, voire davantage.

Il s’agit, par exemple, de demandeurs d’asile déboutés, d’étudiants étrangers ou de travailleurs temporaires restés au pays après l’expiration de leur permis ou de leur visa. Ces personnes sans statut sont forcées de travailler au noir, dans des conditions parfois dangereuses.

Cette mesure permettrait de résorber la crise de la pénurie de main-d’œuvre et de régulariser des gens qui sont ici depuis longtemps, avait même confié Justin Trudeau à Radio-Canada fin 2022.

De petites régularisations par secteurs

Au lieu d’un programme très large, Ottawa mise à présent sur des régularisations à petite échelle, a appris Radio-Canada.

Selon nos informations, le gouvernement fédéral envisage maintenant une approche sectorielle, comme c’est déjà le cas avec un projet en cours dans la région de Toronto, dans le domaine de la construction.

Le ministre de l’Immigration, Marc Miller, avait d’ailleurs donné des indices de ce changement de cap le mois passé.

La proposition ne sera pas aussi complète et ambitieuse que beaucoup le souhaitent, avait-il déclaré lors d’une séance du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration.

Ce projet de régularisation, a-t-il ajouté, devrait être présenté lors de la session [parlementaire] de printemps.

Mais ce n'est pas garanti. L’annonce, déjà évoquée pour l’été 2023, pourrait encore être repoussée à l’automne prochain, le temps d’obtenir un consensus au sein du Conseil des ministres, où des avis divergents circulent.

L'idée d'une régularisation massive ne ferait plus recette au sein du Cabinet Trudeau, même si, officiellement, Immigration Canada assure toujours étudier les possibilités de régulariser le statut des migrants sans papiers qui contribuent aux collectivités canadiennes.

[Immigration Canada] est en contact avec des experts universitaires et des parties prenantes pour soutenir ce travail. Au cours de nos travaux, nous continuerons à écouter les experts ainsi que les personnes sans-papiers elles-mêmes.

Julia Lafortune, porte-parole d’Immigration Canada

Ce changement de cap qui se profile a également été provoqué par les remous créés par les dernières politiques d’Ottawa liées à l’immigration.

Les cibles d’immigration permanente et le nombre historique de migrants temporaires ont été ouvertement critiqués par plusieurs provinces. Le gouvernement Trudeau a d’ailleurs promis de plafonner le nombre d’étudiants étrangers afin de réduire la pression sur la demande de logements.

Ces éventuelles régularisations devraient donc être intégrées dans les futurs niveaux fédéraux d’immigration, a-t-on confié à Radio-Canada.

Québec attend les détails

Au Québec, le gouvernement Legault n’a jamais soutenu publiquement cette volonté fédérale de régulariser des migrants sans statut. « Nous attendons toujours les détails quant à ce programme. Une fois qu’ils seront connus, nous en ferons l’analyse », explique la porte-parole de Christine Fréchette, ministre de l’Immigration du Québec.

Des milliers de demandeurs d’asile déboutés recherchés

Depuis 2017 et l’arrivée de milliers de demandeurs d’asile par le chemin Roxham, le nombre de sans-papiers aurait également sensiblement augmenté.

Selon une compilation réalisée par Radio-Canada, près de 97 000 demandeurs d’asile ont vu leur dossier être rejeté, ont retiré leur demande ou encore ne se sont pas présentés à l’audience examinant leur éventuel statut de réfugié, entre 2017 et 2023.

Ces données ne tiennent pas compte des quelque 144 000 demandeurs d’asile arrivés l’an passé, un record au Canada, puisque leur dossier n’a pas encore été traité par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

En cas de refus – les demandeurs d’asile peuvent souvent faire appel de cette décision–, une mesure de renvoi exécutoire est émise par l’Agence des services frontaliers (ASFC), même si des sursis peuvent être accordés selon les circonstances.

À ce jour, près de 51 000 ressortissants étrangers, dont environ 46 000 demandeurs déboutés, font l'objet d’une mesure de renvoi exécutoire, indique l’ASFC.

Par ailleurs, près de 18 000 demandeurs d’asile déboutés bénéficient d’un sursis législatif au renvoi, précise l’ASFC, qui ignore si toutes ces personnes vivent toujours au Canada.

En l’absence de contrôles de sortie, il est difficile de confirmer qu’ils sont toujours au Canada.

Guillaume Bérubé, porte-parole de l’ASFC

Si des milliers de personnes sont actuellement recherchées par les autorités canadiennes, d’autres sont également bloquées au pays en raison d’un moratoire. C’est le cas, par exemple, des Haïtiens qui ne peuvent être expulsés dans leur pays d’origine en raison des conflits locaux.

Certains ont aussi pu quitter le Canada clandestinement vers les États-Unis, parfois en passant par ces réseaux criminels qui se sont multipliés à la frontière terrestre ou grâce à « passeurs humanitaires », comme l’a révélé Enquête l’automne passé.