Un article écrit par Karine Mateu

Pratiquer un sport interdit au Québec, quel avenir?

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Andrews Pimparé-Édouard avec son entraîneur Kevin Ly.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
Andrews Pimparé-Édouard avec son entraîneur Kevin Ly.

Le muay thaï, aussi connu sous le nom de boxe thaïlandaise, est enseigné dans de nombreuses écoles d'arts martiaux à travers le pays, mais les combats dans cette discipline demeurent toujours interdits au Québec.

Adepte de sports de combat, Andrews Pimparé-Édouard souhaiterait pouvoir progresser dans sa province, plutôt qu'en Ontario ou aux États-Unis, où cet art martial, qui utilise les mains, les genoux, les pieds et les coudes, est légal.

Andrews a 22 ans et pratique le muay thaï depuis deux ans, après avoir effleuré les arts martiaux mixtes pendant quelques mois et joué au hockey au secondaire. Un retour aux sports après avoir traîné dans la rue à fumer et ne rien faire, comme le dit le jeune homme.

Il fréquente maintenant l’école Yeuang Kraai, une école de muay thaï située dans un local d’une ancienne bâtisse industrielle du quartier Rosemont, à Montréal, où il s'entraîne.

En se déplaçant de gauche à droite du tapis, il alterne coups de pied et coups de poing en suivant le rythme d'une musique thaïlandaise. Quand on commence, on s’échauffe un peu, et ensuite, on fait un vis-à-vis avec le coach, explique Andrews.

L'un de ses entraîneurs, Kevin Ly, se tient debout devant lui muni de protège-tibias et de boucliers d’entraînement, et c’est en thaï qu’il lui communique les mouvements à exécuter.

Andrews se prépare, en ce moment, en vue de son prochain combat en mai, un combat de kickboxing amateur. Ce sport de combat, dont les principales différences avec le muay thaï consistent à ne pas utiliser les coudes et à limiter le corps-à-corps, est autorisé au Québec, mais ce n'est pas sa discipline de prédilection.

Le kickboxing, ça me permet d'avoir de l'expérience, mais moi, je veux transitionner vers le MMA, c'est-à-dire les arts martiaux mixtes. En fait, je veux adopter un style muay thaï dans le MMA, soutient le jeune combattant.

Écoutez le reportage audio de Karine Mateu diffusé à l'émission Ça nous regarde sur ICI Première.

Agent de combattant et promoteur sportif

Younes Chahti, âgé de 23 ans, gère la carrière d'Andrews, mais pas seulement. Il organise aussi des événements de kickboxing amateur dans lesquels le jeune athlète participe.

Depuis la création de son entreprise Fight Time Championship, il y a un an et demi, celui qui étudie à HEC Montréal a organisé six événements (trois de boxe et trois de kickboxing) devant des foules variant entre 400 et 1000 personnes.

Chaque fois, le public est au rendez-vous, assure Younes, qui est le plus jeune promoteur sportif à organiser des combats de kickboxing, en ce moment, au Québec.

C'est un milieu assez compétitif, je suis beaucoup plus jeune que les autres promoteurs qui ont 40 ou 50 ans. C’est beaucoup de stress, c’est de l’argent, tout le monde compte sur toi, les combattants, les coachs, la foule, mais si tu es passionné, c'est extraordinaire, soutient-il avec aplomb.

Il ne souhaite d'ailleurs pas s'arrêter là. Mon rêve, c'est d'être le plus grand promoteur sportif d'Amérique du Nord, donc il faut bien commencer quelque part! Et puis moi, j'adore ça. J'adore les combattants, j'adore les sports de combat, ramener les meilleurs talents, les voir s'approcher de leurs rêves, les émotions derrière, explique le jeune homme.

Le seul frein à ses ambitions et à celui des athlètes, déplore-t-il, c’est la réglementation des sports de combat au Québec.

Illégal ou autorisé?

En 2013, une modification de l’article 83 (2) du Code criminel canadien a rendu illégale la tenue de combats amateurs au pays, à l’exception des sports présentés aux Jeux olympiques et de ceux spécifiquement autorisés par les provinces.

Celles-ci ont donc, chacune à leur façon, exclu ou non certains sports de combat du Code criminel. Au Québec, le kickboxing, le karaté ou le jiu-jitsu brésilien, par exemple, ont été autorisés au niveau amateur, mais pas le muay thaï et les arts martiaux mixtes, non pas en raison de leur dangerosité plus grande, mais plutôt parce qu’ils ne sont pas encadrés par une organisation ou une fédération.

Le gouvernement veut que les organisations se gèrent elles-mêmes. Alors, il veut qu’il y ait une organisation qui se mette en avant-scène, qu’il y ait des règlements de sécurité forts, approuvés par le gouvernement pour faire en sorte que le sport soit fait de façon sécuritaire, explique le président de la Fédération mondiale de kickboxing Québec, une filiale de la Fédération mondiale de kickboxing Canada, Dave Morin.

Depuis quelques années, Dave Morin et son équipe mettent tout en place pour encadrer et consolider adéquatement leur discipline et particulièrement sa variante, le kickboxing K1, qui est aussi légale. L’an passé, notre fédération a réuni 55 clubs, 207 athlètes, et on a assisté à 233 combats incluant les exhibitions. On a aussi 79 entraîneurs qui ont adhéré, et ça continue, énumère-t-il.

Sa fédération développe aussi des règlements de sécurité, qui doivent être approuvés par le gouvernement d’ici le mois d’août, pour s'assurer que les combats de kickboxing qu'elle encadre continuent d’être autorisés.

Une fois que tout ce travail sera fait [en kickboxing], on va aller de l'avant avec le muay thaï, prévoit-il.

Par écrit, le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport confirme justement que si le muay thaï souhaite être légalisé, il faut que les représentants démontrent qu’ils peuvent, par leur règlement, assurer un encadrement sécuritaire de la discipline, comme c'est le cas avec le jiu-jitsu et le kickboxing.

D'amateur à professionnel?

Il y a, toutefois, un autre obstacle au bon développement des sports de combat au Québec, ajoute Younes Chahti, c'est qu'il est difficile pour les athlètes amateurs de poursuivre leur discipline au niveau professionnel.

En muay thaï, c'est tout simplement impossible. En arts martiaux mixtes, le professionnel est autorisé, mais l'amateur est interdit. C'est pas logique. Il faut combattre en amateur avant d'aller au professionnel. Ensuite, en kickboxing, poursuivre au professionnel, ça ne fonctionne pas, explique-t-il.

Pour faire carrière, tu dois aller dans le professionnel. Tu es alors payé, c'est ton travail. C'est vraiment les figures d'autorité qui sont le blocage, parce qu'ils sont d'une autre génération, d'une autre mentalité.

Younes Chahti, promoteur sportif

L’encadrement des sports de combat au niveau professionnel relève de la Régie des alcools, des courses et des jeux et seuls la boxe, la boxe mixte et le kickboxing sont reconnus au Québec, confirme cette dernière. La porte-parole répond toutefois que la Régie n’a jamais délivré de permis en kickboxing, sans en expliquer la raison, et qu'elle ne connaît pas le kickboxing K1.

Confiance en l'avenir

Dans le local de l’école de muay thaï, entre deux séquences d'entraînement, Andrews n’a que du bien à dire de sa discipline. Beaucoup de gens pensent que les sports de combat sont violents, mais les combattants ne sont pas des personnes méchantes. Il y a de belles valeurs, surtout en muay thaï. Il y a le respect des aînés, le respect de Bouddha. Dans un combat, c’est vrai que c’est sanglant, mais après, les deux personnes se respectent, assure-t-il.

Son entraîneur Kevin Ly a, pour sa part, confiance en l'avenir tant pour sa discipline que pour Andrews, qui a toutes les qualités pour devenir champion.

J'ai confiance que le muay thaï sera légalisé prochainement. Pour ce qui est d'Andrews, il est concentré, et passionné. C’est l’étudiant parfait! Il est attentif et altruiste. Il est gentil avec tout le monde, complimente l'entraîneur.

Le jeune combattant croit, lui aussi, en ses capacités : Imaginez, un jour, de ramener la ceinture UFC au Québec, au Centre Bell, c'est mon rêve et je crois que c'est faisable! Je crois que je suis bien parti pour être champion!