Un article écrit par Julie Roy

Projet de loi 56 : « On est sur le point de créer trois catégories d’enfants au Québec »

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Une réforme du droit de la famille était réclamée depuis longtemps au Québec, où 40 % des couples vivent en union libre.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
Une réforme du droit de la famille était réclamée depuis longtemps au Québec, où 40 % des couples vivent en union libre.

Élaboré dans l’optique de mieux protéger les enfants, le nouveau régime d’union parentale, présenté cette semaine par le gouvernement Legault, ne fait pas l’unanimité chez les spécialistes du droit de la famille. Si certains y voient une avancée encourageante, d’autres estiment qu’il rate complètement la cible.

Je considère que c’est un début, un début positif, a dit l’avocate Marie-Annik Walsh, samedi, en entrevue à l’émission Les faits d’abord.

Ça met probablement la table à un nouveau régime, croit-elle. Ça fait du bien d'avoir un début de disposition pour les conjoints de fait.

Prévu par le projet de loi 56, le nouveau régime s’appliquera à tous les Québécois en union libre qui auront des enfants à partir du 30 juin 2025. Dès lors, la résidence familiale, les meubles ainsi que les véhicules automobiles seront inclus dans le patrimoine familial des conjoints de fait.

Ça va protéger la résidence familiale, le bien souvent [qui est] le plus important, et ça met des règles de base dans les relations de couple qui, en ce moment, ne sont pas régulées du tout, explique Me Walsh. Le droit d’habitation, le droit d’usage, qu’est-ce qui arrive quand on quitte… tout ça est réglé par la nouvelle loi.

Une protection automatique

Les conjoints de fait seront automatiquement couverts par le nouveau régime, et auront la possibilité de s’en retirer par une procédure notariée.

Selon moi, c’est une meilleure solution que l’opting in [actuelle], soutient le directeur général de l’Association professionnelle des notaires du Québec, François Bibeau.

L’opting in [l'inscription volontaire], c’est ce qu’on vivait jusqu’à aujourd’hui. Les gens qui voulaient être protégés devaient aller chez le notaire ou chez l’avocat faire une convention d’union de fait. Avec l’opting out [la désinscription], s’ils ne font rien, à tout le moins ils vont avoir une protection. Ça, c’est une bonne chose.

Le nouveau régime prévoit également une prestation compensatoire pour un conjoint qui aurait été lésé financièrement pendant l’union.

Néanmoins, il exclut certains éléments d’enrichissement du patrimoine familial, tels les REER et les fonds de pension.

La question des REER et des fonds de pension, c’est plus une question sociale et philosophique qu’une question législative à cette étape-ci, estime Me Walsh.

J’ai l’impression que c’est une des questions principales pourquoi les gens ne se marient pas; parce qu’ils ne partageront pas leurs fonds de pension et leurs REER, poursuit-elle. C'est pour ça que je dis que c’est un début. Peut-être que la phase deux inclura d’autres biens. Pour l’instant, j’ai l’impression qu’on n’est peut-être pas rendu là socialement.

Des catégories d’enfants

Le doyen de la faculté de droit de l’Université McGill, Robert Leckey, est beaucoup plus critique par rapport au projet de loi 56.

Ça se limite aux couples qui ont un enfant commun; ça ne touche pas aux familles recomposées et ça ne touche pas aux unions de fait sans enfant, remarque-t-il.

D’autre part, l’entrée en vigueur est reportée en 2025, donc ça ne touchera pas les enfants existants des conjoints de fait. Je trouve ça contradictoire que le ministre dit vouloir protéger les enfants, mais pas les enfants qu’on trouve dans les rues maintenant; seulement les enfants à naître.

Me Leckey se désole que le gouvernement Legault n’ait pas choisi d’appliquer aux conjoints de fait les protections qui existent depuis les années 1980 pour les conjoints mariés. Comme 40 % des couples vivent en union libre au Québec, beaucoup d’enfants ne bénéficient pas des mêmes protections que les enfants issus d’un mariage.

On est sur le point de créer trois catégories d’enfants au Québec. Les mieux protégés seront ceux dont les parents sont mariés. En deuxième place, il y a les enfants à naître à compter de juin 2025, dont les parents seront en union parentale. Et la troisième catégorie, les enfants les moins favorisés, seront les enfants existants des parents en union de fait, les enfants de famille recomposée en union de fait, soutient Me Leckey, qui croit que cette réforme du droit de la famille rate la cible.

Trois catégories, ça ne cadre pas très bien avec le souhait du Code civil que tous les enfants soient égaux. C’est un peu difficile à avaler, conclut-il.