Un article écrit par Angie Landry

Démanteler ou tolérer les campements de sans-abris? La question divise les villes

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Les campements sont considérés comme l’une des multiples conséquences de la crise du logement.Cliquez ici pour afficher l'image d'en-tête
Les campements sont considérés comme l’une des multiples conséquences de la crise du logement.

La multiplication des campements de sans-abris partout au pays remet à l’ordre du jour la question de leur démantèlement, une pratique controversée qui divise les villes en pleine crise du logement.

Si de nombreux campements d’infortune érigés par des personnes en situation d’itinérance ont fait partie du paysage hivernal, leur nombre tend à augmenter avec l'arrivée du beau temps.

Partout au pays, les municipalités sont ainsi témoins de ce que la défenseure fédérale du logement, Marie-Josée Houle, qualifie de crise nationale des droits de la personne.

Le phénomène est d’ailleurs considéré comme l’une des multiples conséquences de la crise du logement. La question revient ainsi à l’ordre du jour : les municipalités doivent-elles tolérer les campements?

La solution pérenne [à ce problème], et il n’y en a pas 56, c’est le logement. C’est un endroit pour stabiliser la personne, avance Robert Beaudry, responsable de l’urbanisme et de l'itinérance au comité exécutif de la Ville de Montréal, en entrevue à l'émission Les faits d'abord.

La Ville a pourtant démantelé près de 500 campements de personnes en situation d'itinérance depuis un an, selon ce qu’a récemment appris Radio-Canada.

Questionné sur l’approche officielle de l'administration Plante en la matière, M. Beaudry défend ces démarches, qui sont, selon lui, faites dans l’intérêt des conditions de vie et de la sécurité des personnes vivant dans ces installations provisoires.

On ne veut pas normaliser une situation qu’on considère inacceptable et on ne veut pas mettre les gens dans des situations qui sont potentiellement dangereuses.

Robert Beaudry, responsable de l’urbanisme et de l'itinérance au comité exécutif de la Ville de Montréal

Celui qui siège également au Comité sur l’itinérance de l’Union des municipalités du Québec (UMQ) rappelle qu’il n’y a pas que les campements qui génèrent des problèmes (incendies, violences ou manque de soins), puisque les personnes sans domicile fixe se voient aussi forcées de dormir dans les entrées de commerce et les bouches de métro ou sur des bancs de parc.

On comprend aussi que ce n'est pas nécessairement l'idéal d'habiter dans une tente au coin de Notre-Dame et de Frontenac avec tous les enjeux de salubrité, de sécurité, indique Julien Montreuil, le directeur général de l’organisme montréalais L’Anonyme, dont l’unité mobile d’intervention psychosociale circule dans les rues de Montréal le soir et la nuit.

Il faut se questionner quand on démantèle [des campements], soutient M. Montreuil.

Ce qui arrive, c'est qu'on a [ensuite] de la misère à rejoindre ces personnes. On fait en sorte de les mettre dehors de dehors. Puis, ils sont encore plus vulnérables, puis plus à risque.

Julien Montreuil, directeur général de l’organisme L’Anonyme

Démanteler, une fausse solution?

Pourtant, sur l’autre rive du Saint-Laurent, la mairesse de Longueuil, Catherine Fournier, disait, plus tôt en janvier, prôner une approche proactive.

La Ville ne démantèle pas les campements, avait-elle soutenu, arguant entre autres que l’actuel manque de ressources communautaires et de refuges ne permettait pas aux personnes en situation d’itinérance d’être à l’abri sans ces installations temporaires.

Dans l’ouest du pays, le démantèlement des campements dans des grandes villes comme Vancouver et Calgary ont créé un exode des populations itinérantes vers de plus petites municipalités, dont celle de Salmon Arm, en Colombie-Britannique.

La conseillère municipale de cette petite ville de la Vallée de l’Okanagan, Louise Wallace-Richmond, est persuadée que le démantèlement des campements n’est pas une solution adéquate.

La communauté de personnes en situation d’itinérance, c’est une communauté. C’est un écosystème , soutient Mme Wallace-Richmond.

Elle explique que malgré les conflits ou les problèmes de violence, les gens se parlent et tentent de s’entraider, s’informant sur les endroits où se déplacer si leur port d’attache est démoli.

La petite ville de Salmon Arm compte désormais un refuge offrant 25 lits pour les personnes sans-abris.

L’itinérance, une course à obstacles

L’accès au logement demeure le nerf de la guerre en matière d’itinérance, estime Éric Latimer, chercheur à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas et professeur titulaire au département de psychiatrie de l’Université McGill.

Il est d’ailleurs loin d’être le premier expert à donner la hausse du coût des loyers comme facteur principal de l’augmentation des cas d’itinérance.

Au Québec, un rapport démontre à ce titre que les expulsions d'un logement (23 %) pour loyer impayé, plaintes ou rénovictions viennent au premier rang des causes de l'itinérance, devant les troubles liés à la consommation de substances psychoactives (21 %).

[La hausse] n’est pas compensée par une augmentation correspondante des revenus au bas de l'échelle. Ce ne sont pas que des gens qui ont des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie qu'on voit dans ces campements.

Éric Latimer, chercheur à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas et professeur titulaire au département de psychiatrie de l’Université McGill

Une personne peut ne pas avoir de problème de santé mentale ou de dépendance, et simplement [avoir] des revenus relativement faibles ou une situation qui l'oblige à quitter son appartement, ajoute M. Latimer, qui compare le phénomène de l’itinérance à une course à obstacles.

On peut sauter par-dessus les obstacles sans difficulté. Mais à partir du moment où on augmente la hauteur des obstacles, il y aura de plus en plus de coureurs qui ne réussiront pas à les franchir.

Éric Latimer, chercheur à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas et professeur titulaire au département de psychiatrie de l’Université McGill

Montréal interpelle François Legault

Plusieurs s’entendent pour dire que le phénomène des campements n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan de l’itinérance. Et nombreux sont ceux qui brandissent le drapeau rouge pour alerter les gouvernements provinciaux, de qui relève la lutte contre l’itinérance au pays.

Quand on est en situation de crise comme on l’est à Montréal et dans les autres grandes villes du Québec, il faut que le gouvernement s’engage là-dedans, indique pour sa part Robert Beaudry, de la Ville de Montréal.

C’est bien de voir M. Carmant s’engager et en parler, il connaît très bien l’enjeu de l’itinérance. Mais il faudrait que le ministre Dubé, aussi, soit présent. Le ministre de l’Emploi, aussi. Le premier ministre, même.

Robert Beaudry, responsable de l’urbanisme et de l'itinérance au comité exécutif de la Ville de Montréal

Par écrit, le cabinet du ministre Carmant souligne que pour 2023-2024, [ce sont] 75 millions de dollars qui ont été déployés pour soutenir la lutte à l'itinérance à Montréal, des investissements, dit-on, qui ont permis d’offrir 200 nouvelles places d’urgence.

Ce à quoi organismes et experts répondent qu’il faut promettre un plan pour contrer la crise du logement.

Dans son plus récent budget, Québec a prévu 56,3 millions de dollars pour maintenir le parc de logements sociaux, mais pas d’argent neuf pour la construction de ce type d’habitations.

Éric Latimer rappelle l'existence de l’approche logement d’abord. Elle consiste à accompagner une personne en situation d’itinérance pour accéder à un logement – généralement sur le marché locatif privé – grâce à un supplément au loyer offert par le gouvernement provincial.

Cette approche jugée idéale pour certains nécessite toutefois une pléthore d’intervenants et de ressources. Et les réseaux communautaires ont déjà des défis incommensurables, rappelle Robert Beaudry.

Actuellement, on finance le milieu sociocommunautaire au projet, à l’initiative. Mais on devrait le financer comme notre réseau de santé, estime-t-il.

Pour Julien Montreuil, de L’Anonyme, il s’agit d’un choix de société que de mettre en action des mesures pour les plus vulnérables.

C'est notre responsabilité [...] de répondre à un besoin de base. C'est-à-dire, se loger.

Avec des informations de l’émission Les faits d’abord et de Gabrielle Proulx